Samuel Degasne

Journaliste dépendant & théoriste musical.

Pour sauver la musique, tuons l’industrie ?

En juin 99, l’arrivée de Napster (site de téléchargement illégal) avait déjà provoqué une sacrée gueule de bois dans les maisons de disques. Une industrie en proie depuis aux spasmes et dont les tentatives de sauvetage interne équivalent à des rustines éphémères... Décryptage.

Maison-de-disque.jpgL’industrie musicale ? Une centaine d’acteurs, subdivisés par secteur, ainsi qu’une armée de stagiaires jouant aux chaises… musicales, justement. Tous ont une problématique commune : s’adapter ou disparaître, dure loi de la sélection naturelle depuis que la musique dématérialisée s’est muée en trouble-fête. Et, preuve que le navire coule, on ne compte plus les anciens salariés partis monter leur structure indépendante : Patricia Bonnetaud (ex-Sony) avec Ladilafé Productions, Anne Lamy (ex-Barclay) avec Havalina Records, Thomas Sandoval (ex-Universal Music) avec Orsono Records, etc. Pour chacun, et notamment Virginie Berger, auteure du livre « Les stratégies digitales musicales » et ex-directrice marketing de MySpace, la faute revient en premier lieu aux maisons de disques, dont la position déclinante est due à leur arrogance. Celle-là même qui fit chuter l’empire romain. « L’arrogance d’être certain que rien ne changera, que ça ne sert à rien de chercher à anticiper le mouvement. L’arrogance de croire que tout se réglera à coup de procès ou de lois. L’arrogance de croire que l’on n’a pas besoin de chercher à comprendre ou changer. », résume-t-elle dans une lettre ouverte aux majors.

Les maisons de disques apparaissaient ainsi comme des vendeurs de pains de glace, luttant contre l’arrivée du congélateur, sans penser à leur reconversion ? Une théorie que reconnaît Michel de Souza, ex-directeur général de Warner puis d’EMI, dressant pour le blog Don’t believe the Hype une liste non exhaustive des mauvais choix entrepris : « Nous (Ndla : les majors) avons demandé aux artistes - dans un soucis consumériste idiot - de remplir la totalité de l’espace disponible sur un CD (70 minutes) imposant parfois un « empilage sonore », provoqué un manque de lisibilité sur les prix (variant du simple au double), banalisé le support (distribution massive en hypermarché), tenté de transférer entièrement les recettes du monde physique au digital, culpabilisé les consommateurs, financiarisé une industrie - cotée en bourse - en contradiction avec le processus créatif d’un artiste.(…) Et pour être sincère, je n’ai pris réellement conscience de ce qu’on appelle injustement la crise du disque - il faudrait plutôt la nommer la crise de la musique - qu’en 2003. »

Une confession d’une rare honnêteté sur les erreurs commises à laquelle il faut ajouter : le manque d’anticipation technologique (pas de départements de recherche au sein des structures), des stratégies anachroniques basées sur le lobbying et les médias de masse (quand le public se méfie de plus en plus de l’effet « tête de gondole ») ou encore l’inflexibilité sur le partage des catalogues et des revenus. Oui, mais voilà, la technologie n’est pas une solution unique, mais un outil supplémentaire. L’occasion de prendre en compte l’auditeur et de travailler sur un accès global plutôt qu’une vente à l’unité. Une réalité loin de s’appliquer, selon André Nicolas, responsable de l’Observatoire de la musique et auteur d’un 6e rapport sur l’offre numérique : « Le marché est déjà concentré avant d’être mature ! L’hégémonie des multinationales, l’évolution chaotique du marché numérique... Rien n’a changé depuis le MP3 ! Quelques acteurs internationaux se partagent la production ou la diffusion, augmentant les coûts d’entrée. Pas étonnant que le marché s’étiole. D’ici 2015, le directeur du Syndicat national de l'édition phonographique (Snep) prévoit une nouvelle baisse des ventes de disques. »

Label.jpgCar par « arrogance », Virginie Berger n’entend pas seulement les choix effectués, mais bien l’attitude : « Assumez ce que vous êtes. Vous vendez de la musique, vous gagnez de l’argent sur la musique, vous êtes donc des marchands de tapis. Ce n’est pas péjoratif : juste la réalité. » Il est vrai qu’au-delà des « concepts marketing » faits d’anglicismes, le milieu doit déjà faire face à une réputation détestable et malmenée, par exemple, par le salaire à 6 chiffres de Pascal Nègre (Universal Music) ou des déclarations comme celle de Christophe Lameignère (ex-Sony) comparant les pirates avec des collabos… Pas très difficile de comprendre pourquoi le piratage de titres devient pour certains une revanche légitime sur une industrie adepte de la manipulation de foule depuis 50 ans.

Faut-il pour autant tuer ces géants industriels ? Pour Jean-Noël Bigotti, responsable des éditions à l’Irma (Centre de ressources des musiques actuelles), il faut modérer cette pulsion populiste qui voudrait nous faire croire que le problème est aussi manichéen : « Ce que j'en vois par rapport aux groupes émergents, c'est qu'ils utilisent les outils numériques. Tous, mais pas forcément bien, en dépit de la qualité de leur musique. Ce qui renvoie sur la nécessité d'avoir des personnes en capacité de faire correctement de la promotion (contrats, deals de distribution et d’édition…). Le risque dans la promo à tout crin, c'est de ne pas pouvoir gérer un début de réussite, parce que l'on a super bien promu son œuvre sans prendre en compte les étapes à suivre pour développer sa carrière d'artiste et la disponibilité du catalogue. Et ça c'est un boulot de manager et de maisons de disques... »

Et si, depuis le début, le pouvoir était finalement entre nos mains ? Revenir à un mode de consommation allant directement du producteur au consommateur ? Sans évoquer la seule vente en direct, des solutions alternatives existent avec des distributeurs « indés » comme par exemple Qobuzz et Starzik ou bien encore des plateformes régionales comme la Fraca-ma et CD1D (qui regroupent 188 labels). Soit, un travail de fond, faisant le tour des marchés, des enseignes de proximité, tandis que d’autres avares montent des fast-foods de la musique, s’y gavent et se plaignent d’en être devenus obèses et mal-aimés. En conclusion, les maisons de disques ont, certes, une responsabilité dans la situation actuelle, salopant un Art en valeur marchande, mais tout autant que l’auditeur lui-même.

« La vraie grande crise du disque est surtout celle de la passion et des convictions perdues » résumait Patricia Bonnetaud. Vous savez ce qu’il vous reste à faire…



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