L’happening est une forme d’événementiel apparue dans les années 60. Il s’agit d’actions spectaculaires menées en plein air pour faire valoir un message. Ainsi, le côté « spectacle » de l’événement favorise sa reprise dans les médias et alimente notre soif d’images. Mais une nouvelle forme d’happening est apparu en 2003 : les flashmobs. En opposition au courant des hippies, ce nouveau phénomène se refuse justement à toute récupération médiatique, politique ou communautariste. Il se veut ludique et poétique. Un rassemblement s’effectue dans un lieu gardé secret jusqu’au jour même et effectue une action sans aucune signification cachée durant quelques minutes, Avec l’émergence des nouvelles technologies, ces manifestations d’un nouveau genre a fait des émules dans le monde entier. Humour, manifestations de courte durée et liberté sont les mots d’ordre principaux du mouvement. Explications.
Des foules éclairs à l’assaut des rues Dans les années 60, la Guerre du Vietnam fait rage et s’enlise dans d’interminables épisodes. Le mouvement hippie s’oppose à cette guerre qui décime et traumatise le peuple américain. Cependant, le gouvernement de l’époque ne prend pas au sérieux cette contestation et continue ses actions en terre asiatique. Pour alerter l’opinion publique, les partisans de l’opposition cherchent donc à médiatiser leurs idées à travers un acte marquant et, cela va desoit, pacifique. Le « sit-in » est ainsi né. Inspiré notamment des grèves de la faim de Gandhi, les hippies décident d’entamer l’occupation passive des carrefours routiers en s’asseyant sur le sol. Les artistes musicaux de l’époque apporte tout leur soutien à cette initiative encore jamais vue. L’événement est spectaculaire et est repris dans les principales villes américaines et dans les médias mondiaux. Depuis, l’happening a évolué. Le mouvement hippy a pris fin en même temps que la Guerre du Vietnam. Les happenings se sont généralisés aux courants contestataires : écologistes, défenseurs des animaux ou altermondialistes. Cette forme d’opposition permet en effet de réunir un minimum de personnes, tout en offrant un acte spectaculaire repris par les médias (prévenus subtilement au préalable). Mais une nouvelle forme d’happening a vu le jour, s’opposant fermement au courant dont il tire ses origines. Tout comme les freepartys, les flasmobs sont gardés secret jusqu’au jour même de leur réalisation. Les membres sont prévenus dans la journée par un système de « mailing group » (envoi massif d’e-mail effectué à un répertoire) ou de SMS. Cette méthode permet d’éviter toute récupération intempestive des médias pour ne pas paralyser l’événement et conserver sa spontanéité. Les organisateurs se refusent également à diffuser leur identité et déclinent les interviews ou les commentaires à ce sujet. Le but ? S’amuser, participer à un mouvement dénué de sens et provoquer la confusion. Les happenings étaient protestataires et provocateurs. Les flashmobs se veulent « non réfléchis », apolitique et athée. Ce sont des actes ludiques qui font appel à l’humour. Les mots d’ordre sont : la spontanéité et le côté éphémère. Les participants ne se connaissent pas. Ils viennent sur le lieu et à l’heure qui leur a été indiqué. Sur place, la foule applique durant quelques minutes les instructions fournies par les organisateurs. Après chaque action, la foule est priée de se disperser et de ne pas lier contact entre elle. Ces mouvements tentent de brouiller les pistes et d’empêcher tout contrôle et toute récupération. Il n’y a aucun motif, ni de raison particulière à rechercher derrière ces actes. Juste le plaisir inconnu de se fédérer à une action invraisemblable et neutre.
Genèse du concept : le point O Le phénomène est né à New York pendant l’été de l’année 2003. Il semblerait que tout a commencé avec un soi-disant « Bill ». Cet internaute aurait envoyé un e-mail à son entourage afin d’organiser un événement dont le nom de code était « projet foule ». Le message a ainsi été répercuté sur l’ensemble des carnets d’adresse des expéditeurs, favorisant une diffusion vaste et rapide. Résultat : le 17 juin à 19h27 précises, près de 200 personnes se sont rassemblées au magasin Macy’s dans Manhattan. La foule se presse à l’intérieur et demande aux vendeurs où trouver « un tapis de l’amour » pour leur loft, situé dans le quartier du Queens. Quelques minutes plus tard, les personnes se dispersent aussi rapidement qu’elles étaient apparues. Dans les jours suivants, d’autres actions du même genre ont eu lieu. Une boutique d’accessoires de mode a été notamment envahie.Le Muséum d’Histoire Naturelle a vu une centaine de personnes émettre des bruits d’animaux : sifflement d’oiseaux, rugissement de lion ou encore chant du coq. Enfin, une foule est venue applaudir en pleine nuit dans le hall de l’Hôtel le Grand Hyatt de Manhattan. En juillet 2003, le phénomène fait parler de lui et s’exporte rapidement. Une contamination mondiale Suite aux premiers échos émanant de New York, d’autres grandes villes américaines décident de se lancer dans le mouvement des flashmobs. Très vite, moins d’un mois après le début de cet événement, Boston, Minneapolis et San Francisco réitèrent l’opération. En Europe, le phénomène est également repris. A Rome, 200 personnes sont entrées dans un magasin de disques pour demander au personnel des titres inconnus. Le samedi 26 juillet, une foule a consommé des fruits et des légumes frais à Vienne. A Londres, le rassemblement s’est effectué dans un magasin de meubles sur Tottenham Court Road, où il fallait y passer des coups de fil envantant la qualité du mobilier sans utiliser la lettre « O ». Ce phénomène suscite la curiosité des milieux « hype ». Très rapidement, des livres sont même écrits sur le sujet. « Smart Mobs : the next social revolution » de Howard Reingold tente de théoriser et de rationaliser ce mouvement. L’auteur y voit une politisation de l’espace urbain. C'est-à-dire inviter la société à réfléchir sur le sens d’un message enutilisant le spectaculaire et la spontanéité. Howard Reingold pense que les flashmobs pourraient s’avérer être une arme redoutable du contre-pouvoir. Par de telles actions, ces rassemblements momentanés favoriseraient l’effet de masse permettant un bousculement des idées en place. Mais pour l’instant, la plupart des flashmobs recensés était apolitique et la révolution n’a pas eu lieu. Les manifestations politiques sont marquées par l’opposition, tandis que les flashmobs font appel à la contradiction. Une performance artistique absurde. Mais bien avant la renommée des flashmobs et de la définition de ses critères, un rassemblement s’organisait chaque année dans un quartier de San Francisco. L’attroupement déguisé en Père Noël n’a pas d’autre but que de boire et faire peur aux touristes. L’émergence et l’encrage des nouvelles technologies ont favorisé la diffusion et la généralisation de ces mobilisations. En France : Paris mob-il ? La France, en opposition aux autres pays, ne procède pas à l’utilisation des SMS, car cela nécessite un système d’expédition spécifique et payant. Pourtant, le téléphone mobile s’inscrit directement avec ce genre de mobilisation. Il prendra une place beaucoup plus d’importante dans l’avenir. L’idéal serait même de recevoir 30 min. avant des coordonnées sur des appareils GPS. Enfin, autre particularité pour éviter toute critique, les Parisiens choisissent volontairement des endroits publics. L’ancêtre des flashmobs français est une association qui organisait des dîners dans des endroits incongrus ou interdits. On peut citer par exemple, un dîner mémorable sur la Place de la Concorde où était installé des tables pour profiter du coucher de soleil sur l'Arc de Triomphe en 2002. Le premier flashmob français a eu lieu à Paris le 28 Août 2003. Cette mobilisation éclair a attiré plus d’une centaine de personne sous la Pyramide du Louvre. Les participants sont tombés par terre, simulant un malaise durant quelques minutes. Ils ont pour la plupart un portable à l’oreille, connectés à l’horloge parlante pour respecter le timing précis de l’opération. La foule s’est ensuite relevée et a applaudit devant un public improvisé et médusé. Deuxième rendez-vous, le 2 septembre, la foule a tournéautour du Pot d’or (Jean-Pierre Raynaud) situé devant le Palais Beaubourg. L’une des grandes forces des flashmobs, c’est que le concept est quasiment libre et les interprétations sont donc diverses. Deux semaines de préparation pour 3 minutes de spectacle. Du temps et de la minutie pour une action dénouée de sens : un comble. Mais le problème de l’association de Paris, c’est que les attroupements ne s’effectuent qu’intra-muros. Au-delà d’une idée simple On reproche souvent à Internet de mettre de la distance entre les individus. Pourtant, les flashmobs favorisent les rencontres sans arrière-pensée de séduction. Les catégories sociales sont dissoutes au service de l’événement. Des idées et des contacts virtuels prennent justement vie. Un réseau invisible. Enfin, cela nous fait prendre conscience de notre place dans la société, comme si nous prenions du recul pour regarder notre vie dans sa globalité géographique ou sociale. Le flashmob représente une vraie lutte des participants contre toute l’industrie mercantile. C’est une opposition nette à l’encontre des stratégies marketing ou la volonté des multinationales de tout contrôler. La modernisation de cette « mobilisation politique » a permis aupublic de reprendre le pouvoir et sa liberté d’action. Le peuple a de nouveau le choix de ses décisions. Manifester sans but, ni objectif, est donc devenu un art inutile, mais fédérateur et stimulant. C’est le danger de cette manifestation : comment améliorer l’événement en gardant secret les identités des membres et des organisateurs ? A ce propos, le collectif Nicemobs a donc décidé de mettre en place un forum de discussions pour améliorer les éditions. Une initiative qui favorise la fidélisation, mais qui s’éloigne peu à peu du vrai mouvement et de sa liberté. Mais l’important, et on l’oublie trop souvent, c’est l’avis du public. Certes, il est « pris en otage » par ces « terroristes poétiques », mais il ne semble pas s’en plaindre et profite de ce paysage loufoque. Un peu de folie dans une journée morose. A quand un « global mob » à l’échelle mondiale ?