4 Août 2008
Oui, indépendance. Rarement un mot aura aussi bien défini l’action des six mâconnais de Semtazone. Une figure de proue rock qui, avec ce troisième album, Alles is Durven, prend une nouvelle fois tout son sens et rappelle un besoin romantique de liberté.
Car, pas de doutes, l’indépendance fut l’un des carburants du combo. Justement. Toutes voiles dehors, chaque bataille menée depuis presque dix ans renferma les écueils de cette quête dans une inéluctable nécessitée. Semtazone, ce n’est pas une déclaration d’amour d’un banlieusard zozotant pour son quartier. C’est cette envie d’exister, de fendre les flows et de rendre des comptes sur le terrain, en live, comme en témoignait leur précédent Trafic Intense. Sorti en mars 2007, l’album avait été enregistré lors d’une tournée de dix-huit mois, capturant l’essence même de leur expression la plus brute. Un véritable témoignage de héros du vague à l’âme, affrontant sans sourciller les bourrasques et les chants de sirènes. Une espèce rare et non protégée. Des indépendants, disions-nous. Qui mieux alors que le libertaire label Irfan pour leur offrir une bannière digne de ce nom ?
Depuis, la démarche chaloupée et la vigie pointant vers les horizons, l’équipée n’a eu de cesse de mouiller son encre dans les acides phrasés et les ports de boucaniers. Mieux, la flotte a parcouru les continents, enchaînant plus de 500 concerts, non sans une irrévérencieuse facilité. Semtazone au Canada, Semtazone aux Etats-Unis, au Japon, au Maroc, en Allemagne… Assez pour rendre jaloux les aventures d’un Oui-Oui en proie au mal du pays. Exit les chemins tracés, le journal de bord s’est sans exception enrichi à chaque percée. L’arsenal aussi. Et c’est avec plaisir que l’on retrouve les moussaillons d’antan, le regard endurci et la peau tannée par les attaques des embruns. Comme purifiée par le sel de l’expérience, l’ancienne barque conserve son caractère immédiat, essentiel, profilé, évitant les faciles naufrages et les pillages coutumiers pour acquérir, à juste titre(s), une vitesse de croisière.
Pour preuve, des récentes écoutes en continu de Calexico, Alain Bashung ou Radiohead lors de l’enregistrement du nouvel album, Semtazone n’en retient que la mise en place d’ambiances aux remous perturbants. Un abordage en règle où, dans ce sombre climat rock, l’espoir des cuivres apparaît comme un phare salvateur. Et, à ceux qui pouvaient en douter, le propos s’est affiné, aiguisé, endurci. Leur musique est désormais une mer obscurcie par la guitare électrique telle un nerveux orage de chaleur. La chanson s‘y intègre sous forme d’éclaircies, utilisant les nuages menaçants du rock comme une boussole perfectionniste. Au final : est-ce un rock chanté ou une chanson rock ? Qu’importe. Le troisième assaut Alles is Durven prouve que l’aguerri galion sait s’affranchir des frontières et des récifs pour faire subir le supplice de la planche aux préjugés hâtifs. Les introductions pestent et grondent, régulièrement prises en chasse par les averses de la flûte, du violoncelle, et des saxophones. Les clapotis du piano prennent tendrement à revers l’auditeur grâce au travail de Bichon (JMPZ) et de La Fraise (Tambours du Bronx, Doppler). Enfin, les voix de Sara et Charlie assurent par alternance leur quart de garde, prouvant leur redoutable complémentarité.
Et alors que Alles is Durven évoque un tatouage néerlandais délavé qu’aborderait fièrement Semtazone sur son biceps, chaque nom de titre est, lui, réduit à sa forme la plus restreinte. La plus immédiate. « Horloge », « Silence » ou « Démons », ces contractions pourraient aussi bien être des chroniques vécues par le groupe que des noms d’embarcations de frères d’armes. Des mots communs dont le strict raccourci fait résonner ici un sens plus global, presque universel. « Bagdad », « Berlin », « Monterrey » ou « Londres » apparaissent, eux, comme des escales avant la tempête sonore, sorte d’avertissements avant « La Mort » inévitable. D’où l’écriture fiévreuse et l’envie d’y aller. Oubliez donc les veines tentatives de bouteilles jetées en pâture à une vague consumériste. Le nouvel opus marque dans son sillon un appel à les rejoindre en mer autant qu’il signe une ode à la vie destinée aux naufragés d’un même conflit. Une bouée, rien que ça, à laquelle il faut se raccrocher avant une nouvelle échappée. Encore et encore.
Dans ce nouveau douze titres enregistré fin mai au Château de Verchaüs (Ardèche), ce n’est ainsi pas la hargne d’un capitaine Achab, mais bien celle d’un Don Quichotte qui transpire par tous les ports. Pas un virage non plus ou un nouveau départ. Non. Un même cap. Une continuité parfaite de leur parcours qui s’attaque avec courage à la forme tout en conservant la richesse des fonds. L’aveu espiègle de rêveurs garants d’un butin aujourd’hui réhabilité. Des voyageurs à contre-courant, avec une liberté qui leur sied bien au teint.
Des indépendants. Ni plus, ni moins.
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