Samuel Degasne

Journaliste dépendant & théoriste musical.

Billetterie : quel est le problème ?

Billetterie : quel est le problème ?

Sujet sous-estimé, jugé peu sexy, voire tabou… Le secteur est pourtant en pleine révolution, à l’image du 1er forum national organisé mi-septembre à Paris, même si la mutation française reste lente. Rencontre avec son créateur, Eddie Aubin, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet.


Le forum a-t-il confirmé vos intuitions sur les acteurs de la billetterie ?

“Billetterie” est un mot réducteur par rapport à l’étendue de palette du domaine… Mais effectivement, ce forum (que nous n’avons pas voulu “salon”) fut l’occasion d’attester d’un manque de formations ou de légitimité de certains acteurs (l’activité de production n’étant pas la même que celle du marketing). Or, la dématérialisation permet enfin une démocratisation des supports (baisse de coûts, mutualisation…) et un levier de rémunération non négligeable.

Pourquoi est-ce un sujet tabou en France ?
Nous avons une tradition intellectuelle qui refuse de lier culture et argent... D’où notre habitude de la culture pour tous et subventionnée. Or, vu que nous sommes moins dans une lutte des classes, les rapports changent : il est de plus en plus sexy d‘être entrepreneur ! Mais ce “retard” est avant tout plus générationnel que culturel : en France, les acteurs sont plus âgés. Il est normal que la mutation soit plus lente…

Pourquoi réfléchir à la façon dont on vend des billets de concerts ?
Aujourd’hui, il reste toujours 40% d'invendus sur chaque spectacle... Rendons plus accessibles ces places ! Comment ? Via des prix dégressifs en fonction de la rémunération de chacun, en mutualisant des services, en personnalisant les approches… Cela nécessite donc de mettre en place les outils nécessaires pour connaître son public. Aujourd’hui, beaucoup de lieux refusent la numérisation, sous prétexte qu’un billet physique est « plus rassurant ». Attention, les algorithmes ne remplacent pas l’humain : ils font gagner du temps et de l’argent à tous ! Ne soyons pas arrogants : les labels ont manqué de peu la révolution du numérique. Il est encore temps pour que les salles rattrapent leur retard. Un enjeu primordial face à l’érosion des ventes de disques !

Mais n’est-ce pas inquiétant toutes ces données collectées ?
Ce sont surtout les GAFA (Géants du web : Google, Amazon, Facebook, Apple…) qui captent beaucoup de données... Mais il est vrai que le secteur billetterie a des efforts à faire pour redonner une bonne image de son métier et rompre avec l’opacité. Comme beaucoup emploient des prestataires techniques pour gérer ces plateformes, on oublie le plus souvent l’importance de l’éditorial, de la nécessité de la pédagogie… En Belgique, ILoveMyTicket blackliste les sites d’arnaques ou non reconnus par les producteurs/diffuseurs. À quand une initiative de ce genre en France ? Le secteur représente 8 à 10 milliards par an… Ce n’est pas rien dans le PIB ! Hé ben, on préfère demander l’avis à l’artiste, alors que ce n’est pas son métier. Qui pour nous auditionner ?

Et pourquoi les festivals commencent à s’intéresser au marché de la revente ?
Ce sont deux écosystèmes différents qui se parlent peu, mais dont les uns utilisent pourtant les failles des autres. Le secteur “primaire” (1er cercle de vente) s’intéresse de plus en plus au “secondaire” (revente illégale ou légale) pour l’encadrer… Pourquoi ? C’est à la fois un manque à gagner, mais également un déficit d’image pour l’organisateur (bad buzz) et des rétributions non reversées (TVA, Sacem, Sacd, CNV…).
Si la France n’est pas encore touchée par l’utilisation massive de “botnets” [cf. encadré], il est justement temps de se défendre et d’aider des sites comme Zepass ou TicketSwap qui revendent à prix égal ou inférieur… Et puis, interrogeons-nous sur “à qui profite le crime ?” Viagogo est cofinancé par Bernard Arnault, PDG de LVMH et 4e fortune mondiale ! Ça en dit long sur l’importance du domaine et… l’urgence de la situation.


> Ma gestion billetterie

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