17 Février 2011
Télévision, jeux vidéo, cinéma… Avec le déclin du disque physique, la musique cherche à élargir ses supports de diffusion, tant d’un point de vue notoriété que financier. C’est la publicité qui se frotte les mains, jouant les défricheuses pour alimenter un bon buzz au profit d’une marque ou d’une enseigne.
Yaël Naïm (Apple), The Dø (Clairfontaine, Oxford…), Naïve New Beaters (Wanadoo, Nokia…), The Film (Peugeot), Wax Tailor (Volkswagen), Camille (Cacharel, Perrier…), Sébastien Tellier (L’Oréal), Cocoon (Danone, Peugeot…), Emilie Simon (Ferrero, Orangina…), Gotan Project (Nestlé, UPS…)… Ils sont beaucoup à avoir prêtés leurs morceaux à une marque. Pour une majorité, cette association fut spontanée et organisée par leur label. Pour d’autres, comme Jil is Lucky (Kenzo), se fut « le réalisateur qui me contacta. J’aimais son travail d’artiste, donc j’ai accepté tout de suite. » Car, si les rapprochements ont souvent été opéré par un tiers, les raisons divergent, à l’image de Absynthe Minded (Renault) : « nous venions de sortir notre premier disque en Belgique. Cela a permis de nous implanter en France. » Tandis que pour Rinôcérôse (iPod, Mc Donald’s…), le groupe était avant tout « très heureux, car Apple réalise des spots qui mettent en valeur les chansons. D’autant plus que « Cubicle » (« espace réduit ») caractérise ce lecteur MP3 pouvant contenir 1 000 chansons. » Et côté publicitaires ? L’agence Creaminal (Clément Souchier) explique que « les créatifs aiment défricher, mais les annonceurs ne sont pas toujours conscients de l’impact positif. Le choix est donc très fluctuant, à l’image de Justice et Numericable, rendu possible – après de vains débats – grâce à leur couverture dans Télérama. » Même discours chez Universal (Charles-Henri de Pierrefeu) : « on détourne la musique de sa finalité, il y a un équilibre à effectuer. Et, si c’est schizophrène de ma part, je suis aussi heureux que tous n’acceptent pas. »
Parties prenantes ? L’exploitation de la musique par la publicité est effectivement jugée « non naturelle » par Absynthe Minded. Pourtant, certains artistes – à l’image de Richard Gotainer (Vittel, Saupiquet…) – ont cumulé les deux postures : « C’est par la pub que j’ai commencé à devenir professionnel. Les trois premiers couplets de « Primitif / Infinitif » ont été écrit pour une marque. La pub ? La chanson ? C’est la même histoire. L’un remue les tripes, l’autre fait bouger son cul ! ». Pierre Henry (Pirelli, France Telecom…) n’éprouve pas non plus de rejet : « J’aime depuis toujours cet univers. Cela me manque de ne plus composer spécialement pour la pub. Pour moi, c'est non seulement naturel, mais agréable. » Si ces deux artistes ont davantage connu la « création sur mesure », nous sommes tout de même loin de l’exercice actuel de « synchronisation » (illustration sonore à part d’un titre existant). Pour l’agence Euro RSCG (Christophe Caurret), cette « synchronisation » ne peut pas se passer de groupes en émergence – « le public va se demander qui est l’auteur. Cela prolonge l’association marque/musique. Quand Bowie est synchronisé avec La Poste, l’identification ne peut se faire. » -, non pas pour des raisons évidentes de philanthropie, mais bien dans une gestion marketing du buzz.
Et les Frenchies, dans tout ça ? Creaminal avoue qu’ils sont « sous-représentés », car « l’anglais est plus passe-partout ». Une position qui attriste Gotainer : « les mots sont puissants, déclenchent des idées », fustigeant l’absence d’ « audace » des publicitaires, tant sur l’abandon de la création que sur l’utilisation de l’anglo-saxon. Pour Universal, c’est « un phénomène évident de snobisme. Calogero ou Zazie, c’est moins cool que The Drums. La publicité est très « blanche », très pop. Aucune pub n’a pris le risque d’un Ismaël Lo, Khaled ou du hip-hop… La pub formate parce que les publicitaires ont le même âge, trainent les mêmes concerts et lisent les mêmes revues. »
Côté salaire, est-ce aussi un tabou ? Si la plupart ne donnent aucun montant, à l’exception de Jil is Lucky qui évoque une somme à sept chiffres (sic), Universal se veut plus complet : « un jeune artiste en développement sur une pub française, ça coûte entre 25 et 30 000 € (droits éditoriaux et phonographiques). Pour un bon standard, type années 80, environ 100 000 €. » Malgré ces sommes, Rinôcérôse avoue que « une fois la maison de disque ayant pris ses 80%, il n’y avait pas de quoi s’enrichir », reconnaissant que la diffusion mondial du spot fut tout de même un compromis profitable.
Mais la synchronisation n’est pas non plus « un jackpot automatique », rappelle Universal, et « signer quelqu'un sur son potentiel publicitaire serait une erreur. Le cimetière des musiques de pub à gros potentiel est énorme. » La preuve avec Absynthe Minded et sayCET (Croix-Rouge française) sur qui, à l’exception de l’aspect financier, la publicité n’a pas eu de véritable impact. Idem pour Pierre Henry car « n’ayant pas la télévision, je ne suis pas confronté aux rencontres inopinées de ma musique dans ma vie courante. » Par contre, pour Jil is Lucky, c’est « un tremplin non essentiel, mais bien réel » qui a changé « le nombre d’étoiles de notre hôtel ». Pour Rinôcérôse, la publicité leur a permis de « jouer au Japon et d’y sortir nos albums, ce que nous attendions depuis longtemps. La télé a ainsi joué le rôle de radio. » Mais le groupe met en garde sur la finalité : « pour que cela soit un tremplin complet, il faut que le label s’investisse. » En effet, pour Euro RSCG, si le coût s’avère gagnant, la musique utilisée influencera les différentes déclinaisons produit.
Signer avec la pub équivaudrait donc à vendre son âme au diable ? Pas pour Jil is Lucky et Rinôcérôse qui rappellent avoir le choix de l’annonceur. Pour sayCet, la question est même à exclure : « A partir du moment où nous avons signé un contrat avec une maison d'édition, c'est pour être placé sur différents supports de diffusion. » Oui, mais comment se débarrasser d’une marque ? « Tout dépend du type de pub. Regarder Groover Washington et Caprice des Dieux… On n'associe pas forcément a posteriori l'un avec l'autre », rappelle Universal. Le choix. Nous y revenons. La liberté de l’auditeur, comme du musicien. « Je perds moins mon âme à vendre ma musique pour des pubs qu'à rentrer dans le format des playlists radio », a professé le chanteur de Dandy Warhols ? On a décidemment pas fini d’en parler... et d’en entendre.
Dossier réalisé avec J.Boucher-Retif, L.Facchin et Y.Pradeau
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