11 Janvier 2015
Des productions pour The National, un remix pour Breton, un portrait dans Libération, des collaborations avec Etienne Daho et François & The Atlas Moutains, des encouragements de Massive Attack, deux concerts complets à L’Olympia et aux Trans Musicales… L’électronica de Rone joue avec nos nerfs.
Vingtième anniversaire oblige, on a beaucoup reparlé de la French Touch, ce courant musical hexagonal des nineties, sorte de déclinaison pop de la house music. Air, Cassius, Modjo, Laurent Garnier, Mr. Oizo, St Germain, Daft Punk… Toute une génération de frenchies fut, l’espace d’une danse, estampillée maître du monde, faisant oublier quelques vieilles gloires locales et autres antiquités yéyés. Les tubes ? Les Froggies. Les rock stars ? Aux platines. Et viens te battre, hey, p’tit Rosbif ou Amerloque voulant s’essayer au style. Même pas mal ! Les bérets avaient enfin de quoi donner des leçons et le pays des Lumières retrouvé une occasion de briller.
Sauf qu’avec le temps, l’héritage est devenu lourd à porter. Ecrasant. Omniprésent en raison d’éternelles références à cette époque bénie pourtant d’un autre âge. Faut voir aussi comment les médias, les premiers, jouent les effrontés. Depuis vingt ans, la presse tresse à toute hâte des lauriers à chaque dj français dépassant nos frontières… Du bel ouvrage ça, madame, du qui arriverait au niveau des autres, vous pouvez me croire.
Alors certes, il y a un retour de l'électro française, classieuse et inventive, sur la scène internationale. Mais cette revanche tardive marque davantage les rétines que les bassins... Woodkid, C2C, Birdy Nam Nam, Vitalic ou Kavinsky ? Des enfants de l’image, des illustrateurs avant d’être des chauffeurs de salle. Leur musique est conçue avec ses supports visuels, ses relais imaginaires. Le climat l’emporte sur le beat pour peu que l’on est l’ivresse. Puis, et surtout, voilà des types qui jouent avant tout pour eux… Rone est de ceux-là. Et pas seulement parce qu’il a fait quatre ans d’études de cinéma et que son inspiration vient « du 7e art, de la photo ou de la bande dessinée. » Les langueurs de son électronica, aussi mélodique qu’hypnotique, sont taillées pour les dancefloors non conformistes.
Pour le musicien, l’histoire commence pourtant en 2007 dans le temple de la French Touch : le Rex Club. Ce qui est devenu plus tard les « Daft Punk » y ont joué. Tout comme Carl Cox, Jeff Mills, Boys Noize… Donner son premier concert au « Hall of Fame » de l’électro a de quoi changer une vie ou vous détruire. En l’occurrence, la boîte de nuit s’est fait faiseur de roi pour le parisien Erwan Castex.
« Je faisais de la musique sans ambition. Pour moi, les amis. Puis l’un d’entre eux, Lucy (ndlr : l’italien Luca Mortellaro) m’a demandé de participer à ses compositions. Je me suis dit pourquoi pas. » Oui, mais cette première date au Rex Club, alors ? « La peur de ma vie ! J’étais très timide et je me lançais à peine. Tout ça était irréel… Le label Infiné et Agoria m’ont révélé à moi-même. Mes morceaux étaient tellement intimes que j’ai beaucoup travaillé en amont pour envoyer de l’énergie… » Une démarche que l’auteur, désormais passionné par la scène comme en témoigne ses shows aux Etats-Unis, poursuit : « Je distingue vraiment le travail en studio du live. Mes albums sont à écouter au lit, avec sa copine. Je réadapte donc tout, jusqu’à parfois noyer le morceau original, même si j’assume de plus en plus les morceaux calmes. Un concert, ce n’est pas une autoroute, un mix avec un tempo identique. Il faut jouer avec le silence, créer un spectacle… »
Du trentenaire aux lunettes rondes émerge une douceur joviale et bienveillante. Instruit et à l’image de sa musique, il cite Flaubert et s’émerveille d’un rien qui fait pourtant un tout. Pas étonnant que le compositeur soit ami avec l’un des plus grands auteurs français de science-fiction : Alain Damasio (l’auteur de « La Horde du Contrevent » apparaît sur un précédent morceau de l’artiste). Les deux rêveurs possèdent ce décalage qui les rend sympathiques. De la relation épistolaire qu’il entretient avec l’écrivain – en phase de finalisation de son prochain livre –, Rone évoque une libération : « C’est le bon intellectuel. Celui qui dit des choses compliquées de manière simple. Avant de le connaître, ses livres m’ont d’abord ouvert le crâne. »
Des rencontres, Rone en a fait d’autres pour ce nouvel album. Etienne Daho, par exemple, dont la participation ici rappelle Depeche Mode (électro/voix caverneuse). « Nous étions timides tous les deux. Comme il m’avait demandé un remix, je lui ai proposé de faire le match retour sur mon album. Nos rapports étaient directs, sans intermédiaires. Il a pris souvent de mes nouvelles, parlant du morceau comme s’il était notre enfant… C’était touchant. » François Marry (sans ses Atlas Mountains) aussi, comme une évidence et une perche à laquelle Rone a répondu. Et quand il travaille, Erwan parle peu musique. Préfère évoquer des ambiances qu’un solfège qu’il ne maîtrise pas. « Avec mes musiciens, nous avons trouvé notre propre langage ! Je leur laisse d’ailleurs beaucoup de liberté, même si c’est un ping-pong dans lequel j’ai le dernier mot... Je leur prépare des mélodies auxquelles s’agripper avec, en ligne de mire, des disques dont les voix sont les instruments. »
C’est ce cheminement naturel et sans contrainte que l’artiste a voulu symboliser sur la pochette, laissant le soin à sa conjointe Liliwood (à ne pas confondre avec la chanteuse) d’illustrer, « comme une collaboration musicale sur papier ». Quoi de mieux alors comme titre général que « Créatures », reprenant à son compte le mythe de celle de Frankenstein : des morceaux en apparence lancinants, composés de multiples couches et échappant à leur maître. Après Berlin, le laboratoire de Rone fut d’ailleurs posé dans la campagne parisienne. Isolé, avec lui comme seul patron, il partit « en quête de l’intime et d’authenticité », afin de ne pas se recycler. Tel le scientifique attentif et passionné. « C’est pour ça que je suis incapable de définir ma musique… C’est… naturel, c’est tout. » On comprend mieux alors pourquoi l’artiste est si bien dans sa structure indépendante « peu regardante sur mes compositions ». Liberté d’actions, toujours.
Car n’allez surtout pas dire à Rone, sous prétexte d’électro, qu’il est dj… « Je suis un musicien performeur live. J’y tiens ! Je ne passe pas les disques des autres, précise-t-il taquin, même si j’ai beaucoup de respect pour eux. » Encore tout excité d’une proposition effectuée par une récente rencontre : la création d’instruments sur mesure pour ses lives… On a hâte.
C’est pour cette raison que l’évocation d’une « French Touch 2.0 » le fait régulièrement sourire : « Je me sens plus d’affinités philosophiques avec Chris Clark ou Sufjan Stevens ». Avouant malgré tout, dans un rire étouffé, que « jouer le rôle du Français à l’étranger n’a pas que des désavantages… »
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