19 Juin 2011
Incroyables supports de développement de la culture et du tourisme, les festivals de musique restent malgré tout une activité à haut risque. Un équilibre périlleux entre dimension artistique, promotion d'un territoire et nécessité financière. Le tout malmené par la baisse de budgets publics et une concurrence accrue.
Que s’est-il passé depuis 1969 ? Ce jour où l’organisateur annonce que « Dorénavant, le concert est gratuit ». C’était un 15 août, à Woodstock… Oui mais voilà, la gratuité est devenue, depuis les années 80, un souvenir fumeux et la crise a érigé le live en source de profits. Comme un paliatif à l'animation de la cité. Rituel des institutions publiques conformistes, la moindre ville se doit désormais d’avoir son festival, sorte de culture vendue en multipack avec sa bière tiède et son coup de soleil sur la nuque pour gonfler une plaquette touristique. Alors, bien sûr, les extrêmes existent : de la petite association, qui tente le crawl pour éviter la noyade, en passant par les géants comme Live Nation dont les marges s’appliquent du merchandising aux concerts…
Les festivals ? Ils se portent bien en France, merci. Si certains événements ont été annulés en 2010 (Furia Sound Festival, Garden Nef Party), les chiffres de fréquentation indiquaient malgré tout une hausse générale autour de 5,76 %. Grands vainqueurs, battant leur propre record historique d’affluence : les Vieilles Charrues (242 000 entrées) et Solidays (168 300 entrées). Une course aux chiffres, pris à revers par Patrick Lavaud des Nuits Atypiques : « Nous avons réduit la voilure, il y a quelques années, en passant de concerts de 20 000 spectateurs à – aujourd’hui – un peu plus de 5 000. On s'assume comme festival décroissant. » L’exemple rappelle ces chefs cuistots abandonnant leurs étoiles pour préférer la bistronomie…
Une hausse de fréquentation due à la chute des ventes du disque ? Pour Kem Lalot des Eurockéennes : « La crise est plus préjudiciable pour les artistes, nous pénalisant par une inflation des cachets, alors que nous essayons de maintenir une politique à bas prix pour éviter l’élitisme. La fréquentation est surtout due à une alchimie entre un besoin de communion, la météo et la cohérence de notre proposition. » Même avis chez Laurent Saulnier des Francofolies de Montréal : « Il y a 20 ans, il n’existait pas autant de produits culturels et d’objets technologiques. Le public hésite donc avant d’investir dans un festival. Pour moi, l’augmentation du nombre de festivaliers correspond plutôt à une culture du best-of. On optimise l’investissement. »
L’argent, justement, est au cœur de la machine. En 2011, Le Printemps de Bourges affiche un budget de 4,4 millions d’euros, contre 5,4 millions pour les Eurocks ou 5,2 millions pour Rock en Seine. Le tout est basée sur les revenues de la billetterie, les subventions publiques et les partenariats privés, sans qu’aucun n’en donne la répartition (« On peut faire dire ce que l’on veut à des chiffres » se défend Solidays). Pourtant la tendance est claire : diminution de 50 000 euros du conseil général pour Bourges, diminution de moitié de la participation du Pays de Montbéliard aux Eurocks en 2011, arrêt des subventions de l’Auvergne en 2009 et diminution de 40% de l’aide de Clermont-Ferrand en 2011 pour Europavox… Raisons évoquées : le retrait de l’Etat dans le financement des collectivités locales, obligeant à des coupes drastiques. Olivier Bernard, de la Sacem, confirme : « Les festivals font de plus en plus appel à nous pour combler ces baisses. » Ainsi, pour Daniel Colling du Printemps de Bourges : « Nous n’avions que le choix d’élargir les partenariats privés. » Pour preuve, la manifestation rebaptisée en 2011 « Printemps de Bourges – Crédit Mutuel » (si, si !), sur le même principe que les catamarans des compétions nautiques. Typiquement anglo-saxon, même si chacun prétend à l’indépendance artistique.
Oui, mais comment définir le cachet des artistes ? « Il n’y a pas de prix officiel », défendent les Eurocks, « C’est une question de négociation, de mutualisation des moyens sur une tournée générale et d’appréciation du plébiscite. Une négociation peut durer entre 10 minutes et 1 an ! » Seul souci : les visas. Un problème de plus en plus courant, dû aux errances administratives plutôt qu’à une réelle politique répressive, aux conséquences dramatiques. Exemple : l'annulation de 36 concerts en 2010 pour les congolais Konono n°1 et Kasaï All Stars. Et les contrats d’exclusivités ? Pour les Francos de Montréal, « Il ne faut pas toujours voir ça comme un avantage pour le festival, mais bien pour l’artiste : si on demande l’exclu, c’est pour qu’il joue devant plus de monde ! ». Version confirmée par Christophe Davy de Rock en Seine : « Quand le groupe ne joue que dans ton unique festival pendant l’été, c’est aussi parce que ça l’arrange… » Les enchères montent ainsi de 50 à 100% en plus du cachet habituel. Jean-Philippe Quignon des Vieilles Charrues, y voit une limite : « Nous devons faire face à une concurrence financière importante. Nous avons fait le choix, tant pis, de ne pas mettre en péril le festival en faisant n’importe quoi pour attirer un groupe. »
Car, si certains, comme Ben Barbaud du Hell Fest, tentent ainsi un consensus « entre le leader d’opinion pointu et l’ultra populaire », ce classique compromis énerve les plus petites structures, comme Jean-Claude Barrens du Festi’Val de Marne : « ZAZ est passé de 3 500 à 18 000 € en 1 an ! Je m’y refuse… L’an dernier, on me propose Marc Lavoine pour 45 000 €. A ce prix-là, Lavoine va avoir du blé, c’est sûr… » Vincent Mahé, du festival Couvre-Feu, atteste que « parmi les découvertes d’aujourd’hui se trouvent les têtes d’affiche de demain ! A nous de prendre les risques que ne prennent plus les cafés-concerts et les salles. C’est là toute la différence entre une stratégie commerciale et un projet culturel. Le public ne doit pas non plus tomber dans l’écueil du toujours-plus et manquer de curiosité. »
Plutôt que dépenser, c’est pour ces raisons que les festivals cherchent à réaliser des économies de fonctionnement comme les « 5 500 bénévoles et les aides aux associations locales » pour les Vieilles Charrues. Pour Sandy Boutin du Festival des Musiques Emergeantes (Québec), les festivals, pour attirer les artistes, doivent plutôt axer leur stratégie sur « la qualité de l’accueil qui fait beaucoup ». Leur méthodes : « Des artistes emmenés à la pêche ou l’emploi de chefs cuisiniers ». Mais d’autres choisissent d’aller encore plus loin en « faisant vivre la marque au-delà de l’événement », comme pour Gérard Pont des Francofolies de la Rochelle qui pense que « un festival ne peut plus être une appendice de quatre jours ». Ainsi, toute l'année, résonnent des événements annexes au festival : Chantier des Francos, Les Enfants de la Zic (ouvrages pédagogiques distribués aux académies), participation d'étudiants en journalisme, Francos gourmandes...
Au-delà du fond (les financements, l’artistique), les Francofolies de Montréal tiennent à avertir, en guise de conclusion, des dangers de la forme : « Le festival devient un moteur de consommation culturelle, et pas qu'en musique. Tout ce qui est "festivalisable" devient "festivalisé" ! Mais il ne faut pas oublier que c’est l’exception qui donne la force à l’événement… »
A bon « entendeurs », salut !
Dossier préparé avec l'aide de D.Baumal, E.Fournot, C.Larbey et Y.Pradeau