5 Octobre 2013
Journaliste, producteur, animateur de radio et de télévision, écrivain et réalisateur, l’ancien collaborateur de Jean-Louis Foulquier a pris l’habitude des chaises musicales : documentaires pour l’ensemble de France Télévisions, programmation pour Ce soir (ou jamais !), présentation à Canal Jimmy, postes de direction au sein de Polydor et Columbia, rapporteur général pour le Ministère de la Culture… Aujourd’hui directeur artistique de la musique sur France Inter, il s’explique sur les motivations qui l’on conduit à redéfinir la grille de la station et revient notamment sur la non-reconduction de Laurent Lavige et Serge Levaillant.
« J’ai été nommé à ce poste, il y a 1 an. Après avoir longtemps refusé, j’ai enfin accepté parce que la mission était de redonner de la place à la musique au sein de la grille. Cette place, elle représentait 17 % en 2007 et plus que 14 % en 2012… Car si France Inter est une radio généraliste, les grandes signatures qui ont fait son histoire restent Bernard Lenoir, Jean-Louis Foulquier ou José Arthur. La musique s’identifiait alors à travers ces signatures.
Ce n’est pas vrai que ce type de personnalités est difficile à trouver. Il suffit seulement de les accompagner pour qu’ils s’accomplissent. Le plus dur est plutôt de réfléchir à un programme original. Aujourd’hui, nous avons choisi de faire incarner la musique par des artistes : André Manoukian, Laura Leishman, Barbara Carlotti, voire Nick Kent. Ils ont tous en commun une sensibilité qui leur évitera les chemins balisés. Laura, à elle seule, fait mentir le tube des Buggles « Video Killed The Radio Star ».
Ma seule consigne : l’éditorialisation. Il est important de donner une perspective aux choses, qu’elle soit historique, social ou politique. De donner des références. Vous savez, je suis journaliste avant tout. Je ne conçois pas mon métier sans une forme d’engagement et de revendication de ses idées... Et puis surtout : continuer à proposer (nous devons être l’une des seules radios au monde à le faire) au minimum 4 lives par jour.
En 2010, ma première chronique (ndla : Encore un matin, dans la matinales de Patrick Cohen) fut sur Arcade Fire. J’avais peur d’être trop grand public. De retour à mon bureau après l’émission, j’avais reçu 70 e-mails ! Vous seriez surpris le nombre d’auditeurs et de membres du personnel de la radio qui ne connaissait pas… Ca m’a fait prendre conscience du champ des possibilités ! C’était la force de cette pause en pleine tranche de hard news. Mon principe : s’adresser à des généralistes pour les rendre spécialistes.
Il faut décloisonner la musique de sa marque. Je me suis battu pour ne plus que l’on dise « ça, c’est du France Inter », mais plutôt « je veux savoir ce que c’est ». En plus, ça ne veut rien dire ! Exemple : on a pu dire que Juliette était une de nos artistes, alors qu’elle ne faisait pas partie de notre programmation… depuis 15 ans. Je le sais, c’est moi qui l’ai rajouté !
Polémiques
Que l’on affirme que la non-reconduction de Laurent Lavige et de Serge Levaillant (en photo ci-contre) entraîne une diminution de la musique sur l’antenne, c’est faux ! Il y en a même plus à travers les émissions de contenu : 1h le matin, 2h le midi, 2h le soir. 5h de programmes quotidien qui s’ajoute à la diffusion de 46 concerts cet été… C’est dire ! Mais je sais le pourquoi de certaines critiques : nous appartenons au service public. Les contribuables ont ainsi l’impression que la chaîne leur appartient. Ce n’est pas vrai. L’État nous donne un cahier des charges que nous respectons et… dépassons largement.
Rappelons également qu’il est important que la nouvelle génération puisse arriver à ces postes. Oui, ils n’ont pas les mêmes références. Et alors ? Attention, par « nouvelle génération », j’entends bien évidemment de « nouveaux talents ». Ce n’est pas une question d’âge ou de jeunisme comme on a bien voulu le dire concernant notre séparation avec Serge Levaillant. Il y a seulement eu une réduction des émissions nocturnes, dont la décision avait été prise avant mon arrivée en fonction. D’ailleurs, la preuve que ce n’en ait pas : aujourd’hui, la case n’a pas été remplacée. Et rien n’indique qu’elle le sera par un jeunot. C’est le projet qui prime.
C’est la faute également à des programmes usés. C’est en tout cas ce que je pense d’émissions comme Taratata. Il faut pouvoir stopper les érosions. Moi même, quand j’ai eu le sentiment de faire le tour de mon émission Electron libre (sans doute l’une de mes expériences professionnelles les plus excitantes), j’ai demandé à partir. On a essayé de m’en empêcher, mais c’est important de savoir s’arrêter, comme pour Bernard Lenoir, quand on prend conscience d’être arrivé au bout du concept.
(...) Le départ de Lavige et Levaillant (ndla : il essuie, sans feindre, une larme) a été un crève-cœur... Lavige, j’ai partagé longtemps son bureau… Il ne faut pas croire que des décisions pareilles se prennent aussi facilement... Et une politique éditoriale ne se fait pas non plus à base d’algorithmes… C’est une vision d’ensemble, une homogénéité qui peut parfois aller contre des histoires personnelles...
Scène émergente
Conscient de l’importance de faire émerger de nouveaux talents, nous allons très bientôt réhabiliter le radio crochet. De la même manière que nous avons cherché à valoriser les entrées en playlist : plus de hiérarchie dans les classements de la programmation ! Les nouveautés passent le soir, comme le matin et qu’elles soient hip-hop, chanson ou jazz. Ce fut une révolution culturelle pour moi : l’explosion de schémas types et d’une certaine couleur musicale…
Enfin, quand on est une radio aussi importante que France Inter, on travaille forcément avec l’industrie du disque. Or, j’ai tout de même voulu intégrer dans la programmation des artistes qui n’avaient pas encore sorti d’album. C’est fondamental pour suivre l’évolution de la société. Et c’est surtout comme ça que je me suis à contacter Fauve ≠, groupe qui n’avait alors que quelques titres disponibles sur la toile… Le lendemain, ils étaient à l’antenne. »
> Itw Laurent Lavige