Les drogues acoustiques ne font plus la sourde oreille
9 Octobre 2008
Rédigé par Rue89 et publié depuis
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Ressentir les effets de la drogue juste en mettant un casque sur ses oreilles, c’est possible. Du moins, c’est ce que prétend et promet le site Internet américain i-doser.com : de la défonce légale sans risque pour la santé. Marijuana, LSD, Ecstasy, Absinthe, … Tout y passe.
« Prenez un casque. Allongez-vous. Ecoutez l’un des quarante mp3 de 35 minutes et regardez les formes psychédéliques sur l’écran de votre ordinateur. La dose prendra effet au bout d’une bonne vingtaine de minutes d’écoute. » La notice pourrait servir d’ouverture à un film d’anticipation, mais il n’en est rien. Les initiatives du genre se multiplient même : le logiciel Gnaural tout d’abord, mais aussi entre autres le site Internet i-doser, se basent sur des « méthodes scientifiquement prouvées et sans risque de synchronisation des fréquences cérébrales », avec pour caution intellectuelle les recherches effectuées en musicothérapie.
Comment cela marche-t-il ? Notre cerveau émet des ondes dont l’intensité se mesure en Hertz. Il est difficile de contrôler la fréquence de ces ondes, mais des éléments extérieurs pourraient les modifier. Ces « battements binauraux » fonctionnent de façon simple : de l’oreille gauche vous écoutez par exemple une fréquence de 500 Hz et de l’oreille droite une fréquence de 495 Hz. Le cerveau serait alors influencé par le rythme différentiel des deux émissions, vibrant à 5 Hz et provoquant ainsi un effet sur l’humeur.
« On connaît aussi le rôle de l’autosuggestion »
Auteur d’un mémoire sur les sons binauraux et interviewée dans le Nouvel Observateur, la psychologue Brigitte Forgeot pense pourtant que les drogues acoustiques sont un pur fantasme : « Je ne crois pas que des sons puissent produire de tels effets. Déjà parce que chaque cerveau est différent et que chaque son, pour être efficace, doit être adapté au cas par cas. […] Et de là à dire que l'on peut recréer les effets précis d'une drogue, c'est ridicule. » Une analyse que confirment les alarmes dissuasives anti-adolescents, du type Sonic Tennager Deterrent, dont seuls les moins de 20 ans peuvent être incommodés.
Jean-Pol Tassin, directeur de recherche de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) renchérit dans Métro : « Pour moi, ce site est un gag explicable. Ecouter pendant environ 35 minutes - c’est long - des sons chaotiques, c’est épuisant pour le cerveau. Ajouté à cela des images hypnotiques et des illusions d’optique, ça vous met dans les choux ! Le but est bien de fatiguer le cerveau, de vous donner la sensation d’être à côté de la plaque, de planer... et donc de diminuer vos facultés cognitives. Et c’est effectivement la caractéristique des drogues, la cocaïne mise à part. […] De plus, des études scientifiques ont montré que les personnes qui savent qu’elles deviennent plus violentes quand elles ont bu, le deviennent effectivement quand on leur dit qu’elles ont bu, même si elles n’ont pas avalé une goutte d’alcool. » Sur les sites de partage vidéo, les internautes se filment en prenant une i-dose
Mais ce qui semble surtout provoquer l’attrait des ados, c’est avant tout la facilité avec laquelle ils peuvent se procurer ces fichiers audio à la barbe des instances judiciaires et parentales, grâce à son cadre légal. D’autant que le nom de ces i-doses, profitant de l’élan sémantique autour de l’iPod, sont avant tout une provocation marketing à l’image du parfum Opium d’Yves Saint Laurent. Exemples : Cocaïne, Orgasme, Masochisme, … On a déjà fait plus subtile.
Le plus dangereux à court terme se situe au niveau cardiaque. Une tachycardie (accélération du cœur) peut en effet se transformer en accident grave chez un adolescent, tout comme une hyperventilation excessive pendant la dose peut causer un malaise vagal (chute de tension). Tout ça n’est pas non plus sans danger pour le portefeuille. En effet, à l’exception des doses Alcool et Contentement en téléchargement libre, il faut par exemple compter 4,25 dollars pour un MP3 de 45 minutes de Marijuana virtuelle.
Inutile donc d'y voir un réel trafic de drogue. L'internaute aurait plutôt tendance à se transformer en pigeon, plutôt qu'en junkie 2.0. Alors qu'est-ce qui explique ce renouveau soudain dans les médias ? L'explication se situe peut-être dans un article de Wikipédia datant de 2004, et traduit en français début avril 2008. Une date à laquelle la frénésie pour ce sujet s'empare des blogs et des forums hexagonaux, et qui correspond au lancement du i-doser français. L'ensemble des blogs attribue alors la découverte des battements binauraux au météorologiste prussien Heinrich Wilhelm Dove dès le XIXe siècle. Une paternité dont seule Wikipédia semble se porter garant.
Drogues et informations : avec le marketing, rien ne se perd, tout se transforme.