Samuel Degasne

Journaliste dépendant & théoriste musical.

Vers une presse vidéoludique de plus en plus dithyrambique ?

GTA IV, Metal Gear Solid 4, Team Fortress 2... Internet semble s’emballer à chaque nouveau blockbuster, décernant à tout va des notes maximales à peine le jeu réceptionné. Mais si ces récents hits sont effectivement d’excellente facture, les nombreux superlatifs et autre « meilleur jeu de la décennie » fleurent - à coup sûr - le manque de recul face à cette surenchère de communication. Course à l’exclusivité, intimidations des éditeurs ou partis pris ? Les raisons ne manquent pas pour expliquer cette crise d’objectivité du critique, en prise désormais avec ses bits et son couteau afin de récupérer une part du gâteau.

Ne croyez pas qu’il s’agit une fois encore d’une exception culturelle française. La presse internationale emboîte souvent le pas des articles partisans, traitant de façon élogieuse et unanime les productions d’envergure. Dernier exemple en date, le jeu de Rockstar North : Metal Gear Solid 4 - Guns of the Patriots. Quelques jours seulement après la réception des premiers exemplaires presse, les 10/10 ont inondés la toile. En Angleterre, aux Etats-Unis et en Italie, les Official PlayStation Magazine (OPM) ont décerné la note suprême et tant convoitée pour la production de Hideo Kojima. Véritable raz-de-marée excluant le moindre défaut, le reste de la presse a suivit : 9,9/10 pour IGN, 40/40 pour Famitsu, 5/5 pour GamePro US ou encore 19/20 pour Joypad, pour ne citer que les principaux. Smash Bros ou encore Mario Kart avaient suivit un scénario similaire. Dans ce contexte, qu’adviendra-t-il de la notation des futurs hits ? Est-il encore possible de dépasser ces caps fatidiques ? 

Première explication, le monopole des éditeurs pourrait bien à lui seul expliquer cette pluie d’éloges. En effet, les exemplaires confiés quelques mois auparavant sont donnés au compte-goutte aux rares privilégiés et les services presse sont souvent l’objet de ruptures de stocks étrangement inexpliquées. Un fait compréhensible devant le peu de sérieux de certaines publications et les risques de piratages éventuels de confrères peu scrupuleux. C’est du moins la version officielle régulièrement évoquée. Un comble quand on connaît le fonctionnement d’autres industries du même genre. Alors que dans les faits, chaque publication sur les jeux vidéo doit régulièrement montrer une éternelle allégeance pour recevoir son sésame doré, la situation en est inversée dans le secteur de la musique, laissant le soin aux labels d’interpeller le journaliste, et non l’inverse. Le procédé démocratique est ainsi respecté et le papier peut être publié sans un accord préalable et des demandes iconographiques.

Mais au-delà des autorisations, ce ne sont pas les seules pressions indirectes ou non qui sont exercées. On ne reviendra pas sur les nombreux cadeaux, soirées ou voyages qui sont régulièrement offerts et qui malmènent logiquement l’objectivité. Non. La nouveauté, ce sont les procès. Pour exemple, Atari a intenté un procès et exigé du site néerlandais Shacknews qu’il retire les 5/10 attribués au jeu Alone in the Dark. Motif ? La critique aurait été postée un jour avant la date de la sortie européenne officielle. L’éditeur prétend ainsi qu’il s’agit donc d’une copie illégale du jeu ou que le test n’a pu être effectué que sur la base d’une prévisualisation incomplète. Pour les mêmes raisons, la firme s’était attaquée au site allemand 4Players qui avait attribué un 68% pour la version du même jeu sur Xbox 360. Même procédé pour les 3/10 du site scandinave GameReactor et ceux du site norvégien Gamer, contraints également de retirer leur article car le jeu avait été acheté à un détaillant. En novembre 2007, Jeff Gerstmann, journaliste à GameSpot, avait signé un test de Kane & Lynch jugé « assasin » par l’éditeur Eidos en raison de son 6/10. Après avoir exercé des pressions sur le site Internet, les pères de Lara Croft ont tout de même réussi à obtenir le départ forcé du journaliste. Un comble… Le jeu s’est, lui, très bien vendu et a même bénéficié de cet éclairage « particulier. » Plus récemment, c’est EGM qui a décidé de ne pas publier le test de MGS 4 à cause des pressions de Konami, et en particulier de Kojima. L’entreprise a prétexté ne pas vouloir mentionner la taille de l’installation, la durée des cut-scènes et tous autres éléments pouvant nuire au jeu.

Ces cas de figure n’existeraient sans doute pas si la presse se portait mieux. Malgré une légère hausse de la section magazines, les habitudes de lecture et d’achat ne sont plus aussi florissantes qu’il y a une dizaine d’années. Ce déclin s’explique autant par la baisse de fréquentation d’un lectorat qui manque de temps et de budget, autant que par un secteur qui a multiplié ses concurrents sans se soucier de maintenir une qualité éditoriale sérieuse et d’établir un suivit à long terme. Paradoxalement, la presse a besoin d’argent - et donc de concessions - pour être libre dans ses choix et ses avis. Dans cette démarche précaire à l’issu cannibale, certains ont été donc fait des choix hasardeux ou provoqué des ententes plus que visibles avec certains éditeurs. La crise de confiance des lecteurs était donc prévisible.

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> 2e chapitre : le Gaming boom



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