28 Août 2022
Plutôt qu’un complément, le festival ne s’est pas seulement révélé être une alternative crédible aux géants : la qualité de sa 2e édition atteste définitivement de l’arrivée d’un futur grand.
En partageant le même week-end que son vieil homologue Rock en Seine, la comparaison entre festivals est évidemment tentante – bien qu’injuste... Tentante pour ses oppositions que l’on croirait naïvement évidentes : le parisien appartenant en partie au géant américain AEG, l’autre bénéficiant d’une proximité avec son concurrent Live Nation ; le premier étant à sa création l’émanation (bien que déléguée) d’une collectivité, quand celui castrogontérien est celle d’une marque (même franchisée)... Et pourtant.
Pourtant, il subsiste par méconnaissance quelques injustices face aux aprioris... Certes, le festival de Saint-Cloud a fait cette année le choix – débattable – d’une plus grande sectorisation entre festivaliers et VIP (coupe-files, espace dédié et orgueilleusement visible devant une partie de la scène principale…). Oui.
Rappelons toutefois qu’en plus de prestataires plus onéreux, de l’occupation d’un domaine national à protéger, d’un public avec un meilleur pouvoir d’achat et d’une plus grande habitude de la présence de publicités (merci le réseau Ratp), l’événement d’inspiration anglaise – CQFD ? – se devait… aussi de parer aux pertes dues à l’annulation de sa principale tête d’affiche : Rage Against The Machine (nom dont les vexés se sont ironiquement fait l’adage face aux différences de statuts accentuées).
Et de cette envie primaire de ne se fier qu’au doigt mouillé, n’allez pas croire qu’avant les louanges (justifiées), le V and B Fest’ en fut épargné : les nombreux nuages de terre et faiblesses du réseau téléphonique, les prix élevés de certaines consommations (plutôt qu’en souligner la diversité), aux longues files d’attente devant les stands de restauration ou saturation des accès routiers, du principe de sortie définitive du camping (l’aller-retour était impossible dans la même journée), voire craintes compréhensibles d’autres événements du territoire (Au Foin De La Rue, 3 éléphants… d’ailleurs absents du jury du tremplin local) par rapport à leurs exclusivités… Oui aussi.
Mais sur le même principe, ce serait vite oublier que le lieu – le château de La Maroutière aux abords entièrement rénovés – partage des terres agricoles (sa première fonction), que la pratique de tarifs différents des revendeurs franchisés resteraient incomprise (et dont les marges dues aux importations ne sont sans doute pas si élevées), qu’il s’agit d’un très jeune festival (avec une première édition dans ce lieu, dont le bilan et recul permettront évidemment de reconsidérer certains flux) et que toute extension de marque qu’il soit, l’événement est avant tout… un projet local, loin du seul cynisme d’autres (on a connu). De quoi – à leurs dires – veiller justement à déprogrammer ou faire l’impasse sur de nombreux artistes (notamment féminines) pour ne pas empiéter sur de plus anciennes ou associatives institutions locales.
Car c’est en effet à Château-Gontier qu’avant de devenir tentaculaire*, la marque s’est créée et un jeune enfant du pays (Damien Jahier – accessible et affable) qui est à la tête de sa branche festive, fruit d’une dizaine d’années à celle d’un premier festival plus modeste à proximité (Ça Grezille). Que parmi les bénévoles et dirigeants – rappelant ainsi la naissance des Vieilles Charrues (dont l’aide au tissu associatif s’inspire sans doute) – subsistent une fierté à voir fouler ici les Orelsan, Calogero, Gaëtan Roussel, Eddy de Pretto, Feder, voire un Joey Starr en guest de Cut Killer.
Le territoire a beau se situer dans l’un des triangles musicales les plus productifs de France (Angers-Nantes-Rennes), la forte attractivité de ses pôles en a parfois tué son intérieur... ou plutôt exclue malgré lui une partie de son plus jeune public. Las, Château-Gontier-sur-Mayenne avait d’ailleurs peiné il y a une quinzaine d’années à maintenir un premier festival (Le Foirail à musique, sur l’espace bétonné et résonnant de son marché à moutons) au même titre que le chef-lieu du département avait donné le coup de grâce à celui rock de sa salle polyvalente quelques années encore auparavant... avant que celui des 3 éléphants ne viennent – comme ici (la 1re édition était à Craon) – réparer l’injustice en déménageant. Car depuis son dernier essai dans les années 2000, la ville du sud de la Mayenne s’était un peu éloignée de sa jeunesse, réservant surtout son couvent réhabilité (Les Ursulines) pour le théâtre et arts de rue de qualité, voire une chapelle (du Genêteil) accueillant des expositions audacieuses d’art contemporain, mais ne participant pas au retour de ses anciens étudiants déjà délaissés par la maigre offre de formations supérieures.
Voyez comme, pour l’un comme pour l’autre festival, le manichéisme a le réflexe facile sans loupe, ni mémoire de territoire, mais discussion de comptoir… Et que l’intérêt de la comparaison se situe moins dans la dépréciation de l’un (ou l’autre) que sa possibilité. Car oui, on peut comparer au même âge les marges d’évolutions, devinant sans peine pour le V and B Fest’ de beaux et grands jours devant lui. Oui, cet événement n’a pas que la volonté de faire comme les grands, il en a – déjà et aussi – les qualités. Les partenaires (souvent locaux) ne s’y sont pas trompé : derrière les petits défauts excusables et logiques, il y a un professionnalisme et une absence de pression palpable qui nécessitent habituellement plus d’expérience. Bravo.
Entendez les chiffres : 120 000 personnes sur trois jours (plus de 50% venant du département) et autant de litres de bière consommés ; 15 000 cocktails vendus (choix pourtant périlleux pour la rapidité de service) ; près de 30 000 visiteurs au village du festival resté en accès libre ; seulement 552 interventions médicales et 9 évacuations ; plus d’une centaine de futs lancés lors de concours potaches ; mais aussi des problèmes de réassort vite réglés ; deux attachées de presse aux petits soins ; une météo clémente (que l’on annonçait pourtant orageuse) ; les mêmes show impeccables de Last Train et Pogo Car Crash Control que sur les autres scènes de l’été ; et la pyrotechnie upgradée (par le festival) de Martin Garrix pour marquer davantage la fin d’une édition, dont on ne regrettera seulement l’absence d’une plus grande proposition en matière de cidres. Il fallait bien pinailler.
Et même si Gims fut en retard – décalant son passage et refusant les loges du château en raison des marches (son groupe Sexion d’Assaut a semble-t-il aussi fait l’affront de réclamer de la Heineken…) –, constatez aussi comme les artistes pourtant habitués s’y sont sentis bien : de Tryo arrivés quelques jours avant sa prestation jusqu’à Ultra Vomit restés pendant l’after de clôture des 1 600 bénévoles. Il faut dire que chaque invité a pu bénéficier de la piscine des lieux autant qu’un accompagnement des motards de la police dès leur sortie de l’autoroute… On fera rarement mieux.
Mais lisez l’ambition, surtout : l’achat des lieux ; les 20 hectares de camping (ils y étaient 20 000) ; la possibilité toujours d’agrandir un jour encore le site ; de poursuivre l’année prochaine la venue de 45 nouveaux artistes éclectiques pour maintenir la diversité de sa pyramide des âges ; celle personnelle pour son directeur metalleux d’accueillir un jour Rammstein, Dropkick Murphys ou Jinjer, tout en rêvant dans un clin d’œil pour son territoire d’un Scorpions et Deep Purple (indice malicieux de la programmation – en partie déjà signée – du 25-27 août 2023 ?).
Dès le lendemain, 110 tireuses partaient compléter le dispositif de la Grande Braderie de Lille, tandis que la majorité des terres attendaient la fin du démontage pour repartir en production de céréales… Face à autant d’espoirs et de crédibles éventualités, on en avait presque oublié la fonction première de la marque comme de son territoire. Preuve surtout qu’elle n’en est pas déconnectée et que, nous aussi, on commence à s’y projeter.
Vivement.
* plus de 210 caves et bars franchisés et spécialisés dans l’import, devenus chouchous des afterworks.