30 Avril 2021
Auréolés de deux nominations aux Grammy Awards en 2017 et avec plus de 300 000 disques vendus dans le monde, les metalleux landais – 1res parties de Metallica (et bientôt de Deftones) – sortent en avril leur 7e album studio Fortitude, préparé le temps du mandat de Trump. Écoute en exclusivité avec leur leader Joe Duplantier.
Cet album, tu en parlais déjà lors de votre passage au Hellfest en 2019…
Ça fait presque un an qu’il est fini ! Il devait sortir en juin 2020... On l’a repoussé à septembre… Puis la pandémie est tombée, repoussant d’autant l’échéance... Le bon côté, c’est que nous nous sommes concentrés sur les clips, comme avec notre premier single “Another World“, parodiant La Planète des Singes, et ce même si son côté “rigolo“ est passé au second plan.
L’approche a-t-elle été différente par rapport à son prédécesseur, Magma (2016) ?
Jusque-là, on se lançait dans l’enregistrement sans avoir défini le son, déléguant cette réflexion à l’étape du mix. Cette fois-ci, on a donné une direction dès la prise, en attribuant chaque partie à un ampli, une guitare ou des cordes spécifiques. On a utilisé plus de pédales d’équalization, par exemple, pour faire ressortir telle ou telle fréquence... C’est un album qui a plusieurs signatures sonores ! Il y a plus de voyage dans le son lui-même pour éviter le côté “plat“… C’était un vrai plaisir d’un point de vue producteur : j’ai toujours eu envie de prendre plus de temps pour enregistrer les guitares. En général, dans le metal, une fois que l’on a le « son », on met des barrières autour de l’ampli !
Plus difficile, donc, à adapter sur scène ?
On envisage l’objet différemment de sa version live… En concert, la musique est restituée de façon très puissante. C’est la mémoire de l’album qui donne alors l’impression d’en entendre les subtilités. Dans un album par contre, il y a des petits détails qui commencent au fur et à mesure à prendre vie et raconter des histoires par eux-mêmes… Des groupes comme Slayer mettent un point d’honneur à conserver leur agressivité des années 80 ! Nous, on est partis d’une musique très dense et technique avec des changements de rythmes dans tous les sens, pour aujourd’hui ne conserver parfois qu’un seul tempo pour simplifier la compréhension de certains morceaux.
Est-ce pour ça que tu as le sentiment de devenir… « plus rock » ?
Nos influences étaient Morbid Angel, Death… Des musiques très fournies, étouffées au maximum… Cet album est plus aéré, avec plus de dynamiques, des slides de basse… Créer, c’est emprunter des codes qui sont en nous. Là, ce sont nos influences rock qui osent s’exprimer en passant la couche de dissonances… Un cheminement naturel entamé depuis 3 albums.
Parce qu’il est plus difficile d’être en colère sur le long terme ?
Plus difficile, oui… Mais pas très sain aussi ! Quand on a commencé le groupe, j’avais 17 ou 18 ans et d’autres préoccupations que celles d’aujourd’hui. Je pense que ça se ressent dans la musique... Mais il y a aussi une puissance dans la simplicité, que l’on ne comprenait pas avant. Il fallait aller le plus vite possible, hurler le plus fort possible… Alors que lorsque l’on a une idée simple, que l’on laisse les choses s’exprimer, il y a quelque chose – justement – de plus violent… Diminuer l’impact de la distorsion, c’est refreiner l’humeur et donner plus de place à l’interprétation… C’est surtout permettre d’entendre davantage l’humain derrière l’instrument.
C’est ce qui a motivé l’emploi d’Andy Wallace (Nirvana, Faith No More, RATM…) pour le mix ?
On a produit l’album avec le son des années 90 en tête, parce que c’était la meilleure période pour le metal… et pour le grunge… et le rock ! L’époque avait atteint un pic au niveau de la composition et de la production. Après, ça a été le début des simulations d’amplis, de Pro Tools… Des re-re à n’en plus finir pour arriver à la prise parfaite. Pendant les années 90, les groupes n’étaient pas dans leur chambre à enregistrer : ils travaillaient avec des vrais producteurs qui savent placer les micros et retranscrire une énergie. Nous, on a tenu à faire des prises où tout le morceau circule. Qui d’autre pour mixer ça que M. Wallace lui-même ? D’autant qu’il prenait sa retraite et a accepté de faire une exception pour nous…
En plus d’être une opération de désinformation menée par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale, le titre Fortitude a été choisi pour son jeu de mot entre « force » et « attitude » ?
Non, mais ça reste une explication intéressante ! On voulait un mot faisant partie de la langue française… et anglaise. On avait surtout en tête l’idée d’exprimer la force face à l’adversité, même si le titre a été trouvé avant la pandémie. C’est un peu l’idée générale : que l’auditeur se sente renforcé après l’écoute. Les paroles se concentrent sur le challenge à réaliser pour perdurer… et non s’autodétruire. Je pense que les gens, au lieu d’être nourris de peur par les infos, ont besoin de recevoir de bonnes ondes et de force pour savoir quel sera le prochain pas de l’humanité.
C’est toi qui as réalisé la pochette ?
Oui, j’ai fait des croquis pendant deux mois que j’envoyais au reste du groupe... Au début, je travaillais sur des masques africains. Ce qui a donc remporté la palme, c’est ce mélange entre un indigène et un chevalier de la Table ronde… Une sorte de chevalier angélique qui défend des valeurs nobles, spirituelles… Les derniers retranchements de l’homme en accord avec la nature (sans non plus l’ancrer dans la mythologie guerrière du heavy metal). C’est un dessin simple, puissant, qui essaie de représenter l’attitude dans laquelle on se pose : des activistes, des protecteurs de choses fragiles et en perdition. C’est pour cette raison que le premier essai montrait des flammes en arrière-plan, mais c’était un peu trop dramatique...
Le mot « puissance » revient souvent… Il y a aujourd’hui une prise de conscience sur la virilité dominante dans le milieu artistique. N’as-tu pas peur que l’on se méprenne sur son sens ?
Non, parce que ce que les gens combattent, c’est l’ignorance et la bêtise... La puissance, c’est autre chose. La vie, la naissance, la mort… C’est puissant ! (on a d’ailleurs une grosse part de féminité dans notre musique, malgré les 4 mecs dans le groupe) Platon disait que l’artiste échoue d’avance en essayant de reproduire la beauté de la nature, que cela ne pourra jamais être aussi beau… et puissant. Mais il y a des dimensions que l’on peut atteindre à force d’œuvrer dans ce but… Je trouve ça fabuleux que la musique retranscrive la puissance…. Et la nourrisse.
Il y a d’ailleurs une dimension tribale sur certains morceaux…
Oui et le titre “Amazonia“ fait directement référence à Sepultura ! Là encore, ça parait simpliste de vouloir parler d’arbres avec des guitares électriques, mais on exprime ce que l’on a en nous et que l’on ne s’explique pas. C’est pour ça d’ailleurs que l’on fait cette musique ! (sinon, on écrirait des bouquins…) La musique, il y a un côté abstrait et en même temps… on se la prend directement dans la gueule ! J’ai eu la chance de travailler avec Max et Igor Cavalera de Sepultura et leur dire à quel point ils m’ont influencé. Ils ont… hoché la tête et se sont remis au travail illico (rires).
Il y a aussi un grand effort sur les harmonies de voix…
Tu parles du morceau en milieu d’album ? Ce chant amérindien, indigène… C’était pour un autre titre, qui n’a finalement pas vu le jour. Je me suis mis à faire des voix derrière et en écoutant cette partie isolée, Christian (le guitariste) m’a dit « Ça, c’est un morceau en lui-même… ». J’étais content parce que l’on apprend avec le temps à faire confiance aux urgences que l’on peut ressentir individuellement. Lorsque je crée, j’essaie de ne pas penser à ce qui pourrait définir Gojira… Juste à pousser une idée et voir si elle peut s’intégrer à notre univers. Donc là, on a tiré un peu les limites de notre son en construisant un morceau autour de ce mantra… Et on va continuer à explorer cette direction ! Il ne faut pas avoir peur d’amener de nouveaux éléments… sans toucher la balance fragile de notre musique, évidemment.
Deuxième single : “Born For One Thing“…
Le clip ne reflète pas de façon claire les paroles, mais j’aime l’idée d’une histoire parallèle... Si on est « né pour une chose », c’est bien pour apprendre à dompter notre peur de la mort et/ou de disparaître. Une peur viscérale, présente dans beaucoup de cultures ! C’est donc un morceau qui promeut surtout la générosité... Mais au-delà d’une réflexion personnelle (je commence à basculer dans la 2e moitié de ma vie – si tout se passe au mieux – je me pose des questions), c’est un sujet très présent dans les thèmes abordés par le groupe.
Et cette ouverture à la batterie… Idéale en entrée d’album !
Alors ça, c’est un truc que l’on a trouvé il y a longtemps, lors de balances… Un jour, nous jouions dans une vieille arène hongroise et on s’est rendus compte que c’était le truc parfait pour commencer un concert ! Du coup, je pense que l’on va désormais commencer nos live par ça. C’est simple. C’est direct. Ça fait monter la pression. Et puis c’est tout le talent de mon frère Mario qui s’exprime à ce moment-là... Nous ? On est juste là pour faire des sons derrière… (rires) Voyez que l’on entend l’humain derrière l’instrument !