14 Août 2021
Raconter une histoire, c’est se raconter soi-même ? L’adage s’applique à Jean-Charles Desgroux, journaliste chevronné, animateur radio et auteur de Rock Fusion dans lequel son regard passionné tente de dresser le tableau périodique (et inédit) du rock métissé.
De son propre aveu, il n’y a pas de « cohérence » dans la somme de ses écrits... Des bios sur Ozzy, Iggy et Cooper aux essais sur le stoner, hair metal et aujourd’hui la musique fusion (funk, hip-hop ou nü metal), on y lit pourtant en pointillés une tentative constante de réhabilitation des marges. Modeste, Jean-Charles Desgroux y voit lui principalement une « pulsion de fan » autant qu’un besoin d’éprouver « ce qu’il a vécu ».
Curieusement, personne ne s’était d’ailleurs confronté à cette indescriptible “fusion“ – pas même les Anglo-saxons. Et pour cause : à défaut d’unité technique, le genre est avant tout une communauté d’esprit… sans idéologie. « Tout le paradoxe de circonscrire dans un livre un univers musical qui n’a pas de frontière ! » Mais surtout : le terme est endémique à la France (« Le livre va avoir du mal à s’exporter », chambre-t-il) ne s’appliquant outre-Atlantique qu’aux fourneaux.
Est-ce par pudeur des sujets raciaux ou pour banaliser l’aller-retour d’influences qui fait, par définition, l’essence de la musique ? Jean-Charles n’a pas creusé, mais note le souci du détail du Ricain (« funk rock, rap metal… ») quand la France préfère mettre des épithètes sur des bulles : « J’ai moi-même participé à ces fanions fanatiques ! » L’exception culturelle serait-elle aussi sémantique ?
À vouloir donc nécessairement documenter son empirisme, pas étonnant que l’intéressé ne puisse répondre aux commandes (« Même contre un chèque, je n’écrirais pas la bio de Coldplay ! »). D’autant que si le terme fusion porte d’abord sur le jazz 60s et les expérimentations d’Hendrix, permettant alors de caractériser des innovations, c’est au début des années 90 que Jean-Charles a son épiphanie. Et, en pleine montée de sève, trouve à 15 ans sa 1re fève.
Car c’est bien dans la 2e partie amoureuse du livre – faisant état de ses 100 disques-totems – qu’un récit personnel se tisse … Le rayonnage permet même quelques généralités : « 2/3 de la fusion proviennent de la West coast américaine, 1/3 de New York ; la majorité étant issue du punk hardcore, dont la philosophie est… de casser les codes. » Un déstockage massif qui s’avère souvent un survivalisme : « Contrairement au classique ou au jazz, le rock s’est vite confronté à ses limites. Contestataire par nature, il a besoin de renouveler ses sources d’énergie, dont la redite malmènerait l’authenticité. »
Ironie de l’histoire : le rock est lui-même un mariage arrangé entre musiques blanches et noires... Tout un symbole ? « L’homme a besoin de regarder à côté pour pouvoir s’enrichir ! » Quoi de plus normal de constater que ces brassages sont souvent le fait de fortes concentrations urbaines, où les polarités sont exacerbées.
Or, si Jean-Charles est aussi né sur la côte Ouest, son amour des mélanges s’est – lui – concrétisé en opposition : « C’est cette fausse décontraction et mon inadaptabilité qui y ont provoqué ma rébellion. Biarritz, c’est plus la Promenade des Anglais et le casino que Venice beach », confesse le double prénom, dont la conversion rock s’encre depuis à même la peau… Sa culture ? Mieux que cinq fruits/légumes par jour, il la doit à « cinq magazines par mois et quelques clips sur M6 ».
30 piges plus tard, ce brassage est contenu dans son bureau où l’intégralité de Neil Young cohabite avec celle de Ministry, les goodies glam et autres pass de concerts trash. Preuve non seulement qu’il n’y a rien de plus punk que de « refuser les cahiers des charges », mais sans doute de son lien réel avec la musique… Fusionnel ?
- -
À quand le retour du rock fusion ?
« Le home studio, l’économie vacillante de l’industrie et le manque de visibilité du rock ont favorisé les aventures individuelles, du type pop stars… forcément plus lucratives pour l’artiste comme pour son label ! Il y a certes quelques nouveautés enthousiasmantes du côté de la trap metal mais, dans l’ensemble, le retour du rock fusion est surtout contraint à une nostalgie... Les quarantenaires assument enfin leurs écoutes adolescentes, après avoir mis au placard slaps de basse et chants rappés… Regardez les têtes d’affiches de l’édition (avortée) du Hellfest : il y a du nü metal 90s ! De là à voir émerger une nouvelle scène, je n’y crois pas… C’est tout un écosystème (labels, publicité, cinéma…) qui doit se mettre en place et qui n’est aujourd’hui pas convaincu. Aggravé par le principe des bulles informationnelles propres aux réseaux sociaux – fragmentant ainsi les scènes –, il y a peu de chances que cela arrive ! Même si l’on peut… Allez… Ironiser sur le fait que l’explosion des sous-genres du metal est au fond… déjà de l’hyper fusion. Hé hé. »