Samuel Degasne

Journaliste dépendant & théoriste musical.

Concerts : l’an pire contre-attaque

Concerts : l’an pire contre-attaque

Comment promouvoir le live en l’absence de concerts ? C’est le défi imposé au label Upton Park qui, en filmant ses artistes en conditions réelles, a aussi rejoué une scène hilare du mythique Vauban...


« Tonnerre de Brest ! » L’expression n’est pas seulement chère au capitaine Haddock : son origine s’ancre dans un fait historique, sans lien avec la météo pourtant tempétueuse du port breton. Ce “tonnerre“, donc, c’était celui du canon annonçant au XIXe siècle l’ouverture et la fermeture de l’arsenal local... 200 ans plus tard, l’interjection aurait pu s’appliquer au sous-sol de l’hôtel Le Vauban dont les murs, habituellement si chahutés, n’avaient depuis longtemps pas autant résonné. En cause : le label parisien Upton Park venu pour une semaine filmer ses groupes sur scène, dans le but d’envoyer quelques extraits aux programmateurs qui n’auraient pu se déplacer en terres finistériennes.
Pourquoi Le Vauban ? L’institution, donnant sur la rade de Brest et tenue par Charles Muzy – 3e génération de tauliers dont il arrive parait-il aux employés d’éconduire parfois ledit fêtard –, a tout du doigt d’honneur goguenard aux conventions : du jusqu’à pas d’heure et plus soif, avec entrée par la brasserie pendant devant les clients attablés autour d’un pâté en croûte ou œufs en gelée. Et sous les dorures, l’escalier menant au plat de résistance : une salle de concert elle-même d’un autre temps. Celui des concerts, évidemment... Mais également de la boule à facettes qui orne encore le plafond, non loin du zinc et des photos jaunies de vedettes de ciné.
Pas étonnant que depuis le siècle dernier s’y soient côtoyés les bals, jazz improvisé, faune locale (les chanteurs Tiersen et Miossec), soirées électro du festival Astropolis et autres politiques amusés : ici, les barrières sociales s’affranchissent sans difficulté... Quoi de mieux qu’un lieu aussi canaille et à l’abri des regards pour savourer sa revanche ? Surtout quand Matmatah, qui fête les 20 ans de son album Rebelote et dont le patron d’Upton Park est le manager (tiens tiens), y a déjà tourné deux clips… De quoi y poser ses valises en terrain conquis – et masqué.

Pendant 6 jours, c’est ainsi tout un ancien monde qui y a repris vie : les « one-two-one-two » se perdant dans l’écho des micros, les lights tourbillonnantes et autres embouteillages en loge pour y racketter bières et café – et encore du café… Si ce n’est les gourdes et verres personnalisés, la mémoire des corps a vite retrouvé ses droits. La reprise ? Tous veulent y croire et viennent « en attendant » prendre leur « dose d’humanité ». À tous ceux qu’un test de dépistage négatif a servi de sésame, le manque est d’ailleurs palpable, frissonnant de plaisir à chaque larsens… L’abstinence et ses vertus.
Grand Palladium, Cancre (ex-Wicked passé au Français), Skøpitone Siskø, José (chanteur de Stuck In The Sound, cette fois-ci en Portugais), Bigger, La Battue… Les artistes étaient répartis par journée pour éviter toute cohue, dans un emploi du temps optimisé façon tournage porno : quand l’un joue sur la scène principale, l’autre s’essaie au clip-impro dans une chambre ou les couloirs (très Shining) de l’hôtel – le plus souvent en plan séquence gonzo pour en conserver la spontanéité. L’euphorie des retrouvailles est telle que l’équipe promo imagine une fausse formation (Fougère impertinente) avec séance photos entre deux accolades aux libraires indés [Upton Park vient d’éditer le livre 60 notes confinées sur les morceaux emblématiques du label, en guise de posologie face à la pandémie].

Durant la semaine, les sessions virèrent même à la résidence : conseils entre artistes, chœurs inopinés de l’assistance ou encore visites du responsable de La Brasserie du Baril (Benoît Corre), du fromager-affineur Sten Marc et du boucher Olivier Helibert – lui-même organisateur d’un festival afin de garantir des prêts à taux zéro aux musiciens locaux. L’occasion d’apartés filmés en cuisine… Parfois, ce sont aussi des arrangements (guitare acoustique, puis piano-voix) qui sont testés comme avec cette chanson inédite et poignante de Matmatah sur Brest, entre deux retours du groupe en studio d’enregistrement.
Le rythme est si intense que le réalisateur (Rod Maurice) préfère manger seul... Il faut avouer que le lieu agit comme un cocon : chaque sortie sur le trottoir – où se croisent skateuses, punks sans chien, fratrie en short et manteaux marrons – malmène des yeux habitués depuis quelques jours à l’obscurité et dont le plein soleil (inquiétant jusqu’à la presse régionale !) aggrave... Tout l’inverse de la quiétude des clients de l’hôtel, avertis par le simple affichage « Attention, concert bruyant » colocataire d’un menu fricassée-de-porc/kouign-amann rédigé main. Du lourd.

Mais l’occupation fut aussi l’occasion d’un clin d’œil taquin au célèbre article « Ivre, au Vauban (…) », dont l’anecdote fête ses 5 ans et fait encore glousser l’équipée… C’était en octobre, à 3h du matin : un rugbyman alcoolisé, sous cacheton et exfiltré de la soirée, s’était fait sienne la locution « sortir par la porte pour entrer la fenêtre » en empruntant le tunnel de ventilation, guidé dans le noir par la seule musique, arrachant au passage les tuyaux d’évacuation et enjambant les lignes à haute tension pour – après avoir joué les tambours dans le faux plafond – atterrir entièrement plâtré sur le lavabo des toilettes des femmes (évidemment paniquées).
Pour rendre hommage à la cocasse histoire, restée sans doute bruit de couloir si la compagne d’un journaliste ne s’était pas rendue à ce moment-là aux commodités, un dj set du groupe This Is Shit a donc été tourné depuis la vasque réparée, avec guest star enfarinée en guise de clôture des festivités.

Au 7e jour (celui du repos mérité), les techniciens squattant Le Quartz – scène nationale des pavés d’en face –, tapèrent en rythme 80 flight cases, place de la Liberté. Un geste auquel s’est justement associé Tristan Nihouarn, chanteur de Matmatah, pour défendre ces professions actuellement chômées et dont le tonnerre, cette fois-ci, résonna dans 35 villes occupées... Le match retour est annoncé ?

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