26 Décembre 2020
En 2019, c’était une centaine de groupes français, près de 300 formations étrangères et environ 500 intermittents que la société de booking (cogérée par Niko Jones) envoyait sur les routes. De quoi peser sur l’écosystème des concerts.
L’hôte préfère prévenir d’entrée : « Aujourd’hui, tu ne te fais plus connaître par les tournées, mais sur Internet. C’est pour cette raison que nous ne sommes pas seulement des organisateurs de concerts : nous avons aussi un volet production… » L’actuelle sous-médiatisation du rock serait-elle en cause ? Niko Jones esquive, tout en admettant un retour en arrière : « Il n’existe quasiment plus de café-concerts et le réseau des squats – dans lequel nous avons commencé avec les Tagada Jones – a disparu... Aujourd’hui, nous avons donc plus que besoin des plateformes vidéos et d’écoute en ligne, des radios associatives et des médias indépendants. »
Débat de vieux ? Niko modère : « Ce n’est pas l’instrument qui en cause, mais l’usage que nous en faisons… Internet, c’est parfois la liberté. C’est aussi la mondialisation… C’est un plus grand choix, mais également une concurrence plus accrue, un 100 m dans lequel le plus performant gagne... Dans cette optique, le single – pourtant déshabillé de son contexte – va parfois primé sur l’expérience et/ou l’énergie scénique. » Le confinement ayant effectivement accéléré la mainmise des Gafa (Netflix, Facebook, Amazon…) et des services déshumanisés (Deliveroo, Uber Eats…), difficile de contredire cette mise à distance physique et sociale de la société.
Mais, comme à chaque ouverture d’un service public à la concurrence, ne dit-on pas que plus il y a de choix, plus il y a de qualité ? Niko sourit… « La question n’est pas là ! (bien que…) Internet a fait disparaître une majorité des labels indés ou les conseils personnalisés du disquaire. Aujourd’hui, si on peut se satisfaire d’une plus grande accessibilité de la musique (et ses supports de plus en plus nomades – c’est l’un des avantages de l’outil), la découverte est difficile... » Pourquoi ? « Parce que les algorithmes vous flattent en proposant des sensations de déjà-vu pour ne pas brusquer. Difficile, dans ces conditions, de changer violemment de braquet en s’ouvrant à de nouveaux horizons. Or, il faut laisser du temps aux groupes. Le temps d’apprendre, d’avoir une expérience (sur scène), de corriger… Mais aussi d’avoir le droit d’avoir des périodes créatives hétérogènes. »
Ce travail à long terme, Niko l’a nécessairement expérimenté avec Séverine, avec qui il a monté Rage Tour en 93. « Au début, c’était seulement sous forme associative. Avec les Tagada, nous faisions déjà du 360° avant l’heure ! [contrat comprenant la production, l’édition, les concerts, marchandising…] Il nous a fallu beaucoup de temps pour créer un réseau. Une fois mis en place, qu’en faire ? On l’a proposé à d’autres groupes comme Black Bomb A, sur lesquels nous avons autant travaillé que les Tagada… » Il faudra cependant attendre 2000 pour adopter le nom définitif. Et 2 ans de plus pour recevoir un coup de fil du banquier, les exhortant – face aux montants des revenus – à prendre désormais la forme d’une entreprise.
Une construction progressive qui a de quoi forger le caractère : « J’ai surtout souvenir de ne recevoir ni aides, ni conseils. Philosophiquement, l’entreprenariat culturelle en France reste tout de même compliqué : il y a une méfiance naturelle des interlocuteurs... Alors, imagine quand ils découvraient que c’était du punk-rock ! Ça ne nous a pas découragés pour autant… En s’associant à des structures étrangères, on a pu coproduire des tournées communes et s’échanger des groupes. »
L’entreprise est aujourd’hui toujours basée à Rennes, non loin des concurrents et amis de Radical Production [s’occupant des concerts français de feu-Nirvana et The White Stripes, Placebo, L7…], monté en 89 à Angers. Soit : leur miroir UK/US rock… « Nous ne sommes pas sur le même registre, mais nous le faisons avec la même passion ! Big René [le cofondateur] est un modèle pour nous ! Mais oui, le triangle Angers-Nantes-Rennes a toujours été une terre propice aux musiques saturées, consciente malgré tout (comme à nos débuts) de n’être qu’une niche… Rajoute par-dessus que nous ne sommes qu’à 1h de Paris... Pourquoi déménager ? »
Et l’avenir ? Si Niko est prudent sur la tenue des concerts cet été (« qui vont sans doute être conditionnés au port du masque »), il s’agace que la solution n’est pas été plus vite concertée/appliquée. Notant malicieusement que, pour des punks, ils n’ont pas été « si capitalistes que certains le prétendent ». Depuis la création de la société, de l’argent avait en effet été mis de côté en cas de coup durs... C’est cette caisse qui a permis de survivre à l’arrêt des concerts. « Nous avons toujours réinvesti dans la société ! » Idem quand, au vieillissement de cette scène rock et à la difficulté à médiatiser la nouvelle génération, Rage Tour tente de placer « le plus possible les nouveaux en premières parties ». La relève en dépend.
Si l’avenir est incertain, Niko Jones est pourtant sûr d’une chose : « J’arrêterai Tagada Jones quand je n’aurai plus la flamme. Pour autant, je ne veux pas que ce groupe – dans lequel je suis depuis presque 30 ans – soit mon métier ! Mon métier, c’est les autres. C’est d’être tourneur et producteur. C’est l’essentiel de mon temps et c’est un gain énorme intellectuellement. La confiance du public, ça se gagne selon moi uniquement avec l’énergie et la sincérité. » Et ça fait 30 ans que ça dure.