14 Octobre 2020
[événement annulé] Il aura finalement été plus question de Raoult (Didier) que de raouts (musicaux), cet été... Privée de sorties et de visibilité, l’industrie du disque attend ainsi sa traditionnelle réunion de famille mi-octobre, le MaMA, pour obtenir réponses et garanties.
Avec plus de 6 400 professionnels présents, près de 150 conférences, 340 intervenants et environ 130 concerts sur 3 jours, le MaMA Festival & Convention est le plus grand rassemblement français de la filière musicale… Un temps d’échanges et de réflexions, dont l’écho possède une résonnance particulière cette année. Suffisamment pour que son directeur, Fernando Ladeiro-Marquès, n’en ait jamais envisagé l’annulation : « 2020 aura été l’été du silence... Nous avons plus que besoin d’en faire le bilan et de connaître quelles en seront les perspectives ».
Or, si cette impatience et ce besoin d’actions auraient pu se muter en colère envers les pouvoirs publics, Fernando préfère envisager son événement sous le signe de l’espoir : « C’est pour cette raison que nous avons invité les principaux décideurs à notre table. Nous souhaitons rester constructifs en donnant une vision juste de nos métiers afin de trouver – ensemble – des solutions ».
Pourtant, les initiatives ne manquent pas, comme cette tribune Tou·te·s debout contre la mise à genoux de la musique du 23 juillet, adressée au gouvernement et… restée lettre morte depuis. Pour Fernando, l’exemple prouve la nécessité de faire davantage front commun que front baissé : « Malgré notre dimension fédératrice, nous restons un secteur individualiste qui a souvent des difficultés à se réunir, se conseiller, définir des stratégies communes, coordonnées et représentatives de tous les corps de métier ».
Si les focus du MaMA étaient, cette année, prévus sur la santé mentale du secteur et les revenus de streaming, l’épidémie va nécessairement jouer les têtes d’affiche des débats comme des apartés... Jusqu’à même devenir une thématique transverse, cette dernière ayant rajouté précarité et anxiété à une industrie déjà en proie au burn out et aux coupes budgétaires ; ou en amplifié la question de la répartition des dividendes numériques en l’absence de concerts/festivals.
Et ce ne sont pas les interrogations qui ont manquées pendant cette carence : comment prévoir un événement, si les risques ne peuvent pas être assurés ? Comment les assurances peuvent-elles s’engager, en l’absence de statistiques concrètes (plus faciles à préempter dans le cadre, par exemple, d’accidents de voiture) À force de reports en 2021, ne va-t-il pas y avoir embouteillage de sorties d‘albums et de concerts, tentant par la multiplication de lutter contre la saignée ? Quant aux reports : seront-ils tous assurés ?
Pour le directeur du MaMA, le débat dépasse le simple échange corporatiste : « La musique, c’est cet élément inutile… mais indispensable ! Un monde sans elle serait terrible [lire ci-contre]. Il est normal que le public n’en mesure pas encore les conséquences : les priorités furent d’abord sanitaires et professionnelles... Mais n’oublions pas que l’été 2020 ne sera pas seulement une perte pour les artistes et leurs techniciens. L’annulation d’un festival, ce sont d’importants manques à gagner pour les entreprises de transports, l’hôtellerie, la restauration, le tourisme, la sécurité… ».
Pour avoir notamment organisé des mises en valeur de la scène portugaise ou japonaise et accueilli de nombreuses délégations étrangères lors des précédentes éditions, Fernando Ladeiro-Marquès mesure d’autant plus les différences de traitement, selon la place que consacre chaque pays à la culture. « N’oublions qu’en France, la musique pèse plus lourd dans le PIB que l’industrie de l’automobile. C’est un secteur qui ne peut pas être ignoré ! »
Pour Fernando, si le bilan n’est évidemment pas encore figé, les différents confinements ont malgré tout laissé entrevoir une possible refonte des modes de travail : « Alors que le sujet était crispant pour certains, et même si cela ne remplace pas à long terme le contact humain, la situation a prouvé que le télétravail était possible, sans pour autant restreindre la productivité ». Idem côté maillage des financements privés/publics : « Le marketing culturel a toujours eu mauvaise presse en France. Pourtant, on l’a vu, certains partenariats peuvent être bénéfiques dans la tourmente… si toutefois sont limitées les concentrations. Comme il existe des consommateurs de blockbusters et ceux du cinéma d‘auteur, il y a un public pour tout ! C’est de l’absence de diversité, bénéfique pour personne, dont il faut se méfier. »
Question pluralisme, ce sont pourtant les programmations qui en souffrent ces dernières années… Le directeur du MaMA nuance : « Le MaMA reste un outil au profit de la profession : il se doit d’être une vitrine réaliste. D’où des artistes, cette année, plus axés sur l’électro et le hip-hop, oui… Mais n’oublions pas, via le travail de fond réalisé par sa communauté, que certains genres comme le metal n’ont pas nécessairement besoin de la presse pour exister. »
Pour lui, la crise n’a d’ailleurs fait que renforcer des situations précaires déjà existantes… « La presse souffre depuis de nombreuses années. Les artistes dépassent de plus en plus rarement le 2e album. Le public lui-même a beaucoup changé : il achète désormais plus de morceaux que d‘albums, consomme et se renseigne davantage via les réseaux sociaux ! » En cause : une société qui a accéléré son tempo. Et une culture qui, logiquement, se met au diapason... « Or, s’il existe aujourd’hui plus d’artistes qu’hier, le public – lui – ne s’est pas agrandi… »
Pire : ces questions, Fernando Ladeiro-Marquès s’y ait habitué, lui à qui l’on demandait déjà il y a quelques années pourquoi organiser le MaMA Festival & Convention à l’heure des échanges dématérialisés et d’un secteur devenu mondial. « Il n’y a effectivement pas besoin d’être au même endroit pour avancer ensemble ! Mais, les échanges en direct ont toujours eu cette dimension revigorante. Or, au vu des attentes, il n’aura jamais été aussi urgent de comprendre, prévoir et…. enfin nous retrouver. » Dont acte.
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