21 Décembre 2019
Face aux grèves massives, la quarantaine annoncée a failli ne pas s’appliquer qu’au nombre d’années de l’institution... C’était sans compter sur l’irréductible festival breton qui, à défaut de la mousson, résiste encore et toujours à la mauvaise humeur.
Transports amputés, blocage des dépôts de carburant, bouchons en accordéon… Il fallait avoir des envies de Pékin Express pour claquer cette année des dents (ou des pieds) sur l’éternel goudron mouillé de la capitale administrative de la Bretagne. Avec, pour les aventuriers de la galette-saucisse, du punk-à-chien sous entrepôt et d’apéros-pros, une même promesse depuis 40 piges : de l’exotisme pré-hype et du jamais-vu/entendu... Sur le papier, les stats 2019 ne font encore une fois pas mentir l’adage avec 84 formations (dont 21 premières scènes européennes et 12 françaises), 56 000 visiteurs durant 4 jours et sa bourriche de créations en accompagnement ! Avouons qu’après avoir initié les dépucelages historiques (Nirvana, Björk, Kravitz, Beastie Boys ou The Fugees côté étrangers ; Daft Punk, Mano Negra, Noir Désir ou version Bérurier côté frenchies), l’expérience pourrait rendre exigeant.
Preuve en tout cas de l’anniversaire-au-chiffre-rond, l’édition s’est ouverte sur un rappel de l’Histoire : le retour d’Étienne Daho, dont la performance inaugurale se fit lors de la première du festival : en 79... Tout un symbole, dédié au chanteur des Marquis de Sade, autre phare local éteint il y a peu. Presque un demi-siècle plus tard, l’introduction par l’enfant chéri (exilé depuis) est malheureusement sabrée, façon bouteille de champ’ rebondissant sur la coque du cuirassé, en raison de problèmes de son. À défaut d’une complète : crêpage de chignon et prestation du lendemain corrigée… Solide comme un rock est la maison !
JEUDI
Deux exæquos sur la ligne d’arrivée de la soirée et pourtant une seule approche : l’électro sans machine. Ou comment une formule éprouvée (du synthétique rebootée à coup d’instruments) promet de s’attaquer au palpitant, en intégrant un peu de chaleur aux binaires... Dans cette primaire : les Colombiens d’Acido Pantera et leur acid house sniffé aux rythmes tradis (mention spéciale aux percussions !). On se met presque à fantasmer sur la future intégration, dans leur set, de breaks/montées qui faisant l’attrait de ce type d’envolées… Concurrent de l’étape, le Français Mezerg, est un one-band pianiste préférant l’option boum-tchak au pied. Virtuose punk des notes noires et blanches qu’il éconduit de la main, le cavalier sans tête (mais à tignasse) impressionne… Avec un défi de taille (pas capillairement) : comment, à l’avenir, en renouveler les sonorités ?
Notons également, dans la mêlée, l’Irlandais Shaun Mulrooney avec TAU, duo d’envouteurs psychés. Incantatoire et chaotique, leur acid folk a le défaut de ses grandes qualités... Mais reste moins figé que le krautrock froid d’Albert Jupiter ou le hip-hop de Grand Singe (dont l’originalité se situe dans les masques en papier ?).
Le souper se fait sur Cochemea, parfait dès l’intitulé : ancien saxophoniste de Sharon & Quincy Jones explorant ses racines amérindiennes. Un spiritual jazz (co)habité et parfaitement exécuté… On en reprendrait bien une lampée avant de se coucher.
VENDREDI
Rien de neuf côté recette, mais c’est dans les vieux futs que Megative trouve sa formule pour prendre dans nos cœurs la tête de la journée. En l’occurrence, l’ex-leader du groupe de rock montréalais The Stills, assume lorgner sur les Clash... Au programme, donc : du punk UK jouant les bras de fer avec le dub du Jamaïcain Screechy Dan. On connait. On s’en fout : l’envie de communion balaie le déjà-vu. C’est bon et puis c’est tout !
Sur une même lancée, le trio rap féministe de Barcelone, Tribade, enfonce le clou. Car si révolution il y a, c’est plus sur le fond que la forme grâce à leurs textes anticapitalistes, antireligieux et militants de la cause LBGT. On ne va pas bouder notre émotion : le panache et les prises de position sont de moins en moins légion… De quoi se soulager de la (petite) déception de Los Bitchos, girl power attendu qui, en plus d’abandonner le micro, en a parfois aussi oublié l’émotion... Point de putasserie, cependant, mais une prise de risque (technique) audacieuse.
Mais revenons au Rennais du jour : James Eleganz. Si son nouveau numéro de crooner US est d’une rare élégance, on peine parfois à oublier son précédent personnage... Pour ceux qui ont connu Yann au sein de Success [sorte de fusion-rap où le chanteur s’arrachait les poils du torse pour les jeter au public, quand il n’était pas sous camisole, hurlant comme un forcené], la rétine est trop fortement imprégnée pour en taire l’illusion d’optique. Amnésiques, on l’avoue : on vous envie.
SAMEDI
Dernier tour de piste et un podium saturé. À commencer par San Salvador. Trois hommes, trois femmes et une possibilité : c’est la partie de jambes en l’air proposée par cette polyphonie du Massif central dont l’écho se prolongera... Alors, on comprend qu’à défaut de volcan, le genre éveille quelques douleurs chez d’ex-estivants (corses, notamment), mais en se réappropriant le chœur populaire (percussions, économie de moyens et refus d’une nostalgie tape-à-l’œil), la modernité s’y offre à qui veut l’entendre... Bravo ! Même son de cloche (et de guitares) avec les Néerlandais Yin Yin... Drapés dans des gilets (jaunes), les musiciens psyché-funks nous laissent baba et cool avec une formule win-win qui thaï la route. De quoi favoriser un périple ouvert aux détails.
Le rhythm and blues de Joey Quinones & Thee Sinseers ne prétend pas non plus à l’inédit. Au contraire ! Gardiens du temple de cette tradition doo-wop et soul des États-Unis, ces émissaires de la communauté chicana prouvent leur érudition aux côtés de leur multi-instrumentiste à la voix de velours. Même constat au détour des Toulousains Slift (quelle forme, décidément, cette scène rock française ; le genre a peut-être déserté les médias, mais pas les salles de répét’ !). Puisant dans le kraut’, le garage et le space, l’énergie – non loin des Psychotic Monks de l’an dernier – a tout pour plaire (et elle a plu ; autant que les nuages rennais).
On fut parfois moins convaincu par leurs compatriotes Moundrag (duo orgue/batterie avec tambourin autour du cou – waouh), le sound system acoustique de Tekemat (un soubassophone en guise de didjeridoo, plus efficace en déambulation qu’en concert debout), voire le post-punk second degré des Anglais Mush, les lieux communs du collectif de hip-hop Groove control et les mariages électro-orientaux d’Acid Arab malgré leurs impressionnantes lumières en trompe-l’œil. Car l’hydrocution était, selon nous, à chercher vers l’Est avec la darkwave en réduction des Russes Shortparis (anxiogènes, donc fascinants) ou le hip-hop de l’imposante Ukrainienne Alyona Alyona possédant un incontestable flow. Assez pour, notamment côté instrus, en réconcilier les défauts.
La conclusion du périple est sans doute l’ironie des évolutions : du neuf réalisé avec du vieux… Mais au bilan des actions, on préfère encore noter, très largement, les possibilités de cette révolution. Bon anniversaire !