Samuel Degasne

Journaliste dépendant & théoriste musical.

Hellfest Open Air 2019 : quoi d’autre ?

Hellfest Open Air 2019 : quoi d’autre ?

Comment ne pas voir dans l’actuelle réhabilitation des musiques metal – “sous-culture“ longtemps décriée, snobée, voire moquée… – une ironique revanche ? Illustration avec sa Mecque clissonnaise, devenue festival de tous les superlatifs et épicentre de toutes les attentions médiatiques.


Des chiffres et des records, le Hellfest n’en manque pas : 14e édition ; 3 jours (+ le groupe de nu metal Slipknot and co. en pré-show, la veille, via le Knotfest) ; 140 groupes ; 60 000 festivaliers quotidiens et issus de 70 pays [la limite d’occupation de l’espace semble réellement trouver aujourd’hui ses limites, mêmes si les files d’attente restent rapides] ; 440 000 litres de bière consommés en 4 jours (+ 18 400 de vin et quelques 3 000 bouteilles). Le tout dans une des banlieues vertes nantaises, aux 7 000 habitants et à l’architecture toscane... Ah ah. Qu’il est loin le temps des âmes en pâmoison, hurlant à l’hérésie et promettant l’apocalypse à l’approche des premières éditions ! 

Devenu premier festival de France par son chiffre d’affaires et son nombre d’entrées payantes, le Hellfest a désormais plus de procès d’intention qu’en sorcellerie :
* « Disneyland du metal » diront les concurrents jaloux qui n’ont pas su pousser si loin l’immersion (oubliant l’ancrage local et les marques contenus seulement à l’entrée du site) ;
* « boîte à fric » protesteront ceux qui ne savent pas qu’une association est à la manœuvre et que, malgré le record du billet le plus cher, les 55 000 pass 3 j. ont été vendus en 2h ;
* « même programmation chaque année » hurleront les autres, sans prendre conscience que malgré sa redondance interne (style oblige), le line-up joue tout de même les outsiders face à l’uniformisation nationale.

Aujourd’hui, le schéma même s’est tellement inversé que ce sont les commerçants du centre-ville qui se plaignent – à cause des navettes mises en place – de ne plus avoir assez de visites ; c’est le centre Leclerc (à proximité) qui triple son chiffre d’affaires et organise sa propre scène off ; ou l’espace VIP avec piscine, saturé de profanes désireux de se faire voir, plus qu’écouter... Ironique, non ? Évidemment : beaucoup ont compris à rebours la dimension communautaire de ces néo-hippies (oui oui) en recherche de collectif et de nouvelles spiritualités. De la fidélité au genre et de son pouvoir rajeunissant : cette douce rébellion esthétique et vestimentaire face à l’hégémonie hip-hop (qui assume davantage vouloir habiter des villas quand les rockeurs veulent, eux, les détruire). Et pourtant, si les nouveaux rappeurs ont souvent délaissé la contestation des premiers galops, les metalleux ont compris depuis longtemps la puissance du message : dans un pays belliqueux ayant pour tabou l’argent, on préfère être anti. Qu’importe le prix.

Ainsi, pendant le Hellfest, on consomme en meute les produits d’identification et de nécessaire ralliement. Les corps exultent, dénudent leurs mamelons (masculins ou féminins), exposent leur ventre plat ou rond, voire affichent fièrement peintures de guerre et autres décorations... Car après avoir été longtemps rejeté, l’événement permet aux uns de s’oublier et aux autres de s’assumer, non sans un éternel second degré [à l’image des traditionnelles courses de caddies nocturnes ou des contre-soirées Macumba du camping]. Et partout, sur scène, personne n’oublie dans son discours de rejeter les inégalités et d’aller éprouver, dans la foule, son poitrail dans un magma indivisible et rassurant. Le Hellfest est à l’image des musiques metal : une réunion de familles inclusive. « Accepte-moi et je t’accepterai » ? Une jolie leçon qui aurait pourtant pu tourner pisse-vinaigre après des années de stigmatisation.

C’est donc avec la même raillerie que la prestation boursouflée de Slipknot, la veille du Hellfest, sera taquinée. Si, certes, le site ne s’est pas encore totalement dévoilé (le “Knotfest“ étant une co-production pas nécessairement amenée à être réitérée), la soirée est heureusement sauvée par certains de ses invités : un Rob Zombie martial et dont la reprise des Beatles enfonce le clou ; ou encore les vikings Amon Amarth, dont les accents death viennent contenter les envies de cuisson saignante... Il faut dire que l’on attendait un peu plus de relief (et d’inédits) de la part de la principale tête d’affiche clownesque. Tant pis.

Même gueule de bois, le lendemain au réveil, après l’annonce de l’annulation du groupe heavy Manowar, une des principales têtes d’affiche du vendredi et dont c’était l’ultime date française de leur tournée d’adieu. Côté camping, la confirmation lancera un tout autre festival – celui du calembour – à commencer par ce « No… NoMano War », chanté dans un Bob Marley approximatif… C’est donc un Sabaton et son chanteur aphone qui ont l’audace de remettre (difficilement) le couvert. En parallèle, côté VIP, les théories affluent sur cette annulation : demande de rallonge financière parie les uns ; non-respect des nouvelles normes françaises sur le niveau sonore pour les autres. Le futur procès entre le groupe et le festival permettra sans doute de les départager [notons juste qu’au festival Rock en Seine, il y a quelques années, l’annulation d’Oasis ou Amy Winehouse, avait donné lieu à des remboursements – preuve, une fois encore, de la sociologie différente des festivaliers, dont d’ailleurs peu doutent que la faute en revient à l’organisation].

VENDREDI FRENCHY. Grand gagnant, pour nous : No One Is Innocent. Pour avoir vu l’évolution du set tout au long de la tournée, l’un des meilleurs groupes de rock actuels a réussi la bonne synthèse entre passé et avenir, énergie militante et sourire communicatif (à ex-aequo avec celui de Reuno de Lofofora). Un concert de plein jour qui – en plus d’avoir bénéficié d’un duo avec Niko (Tagada Jones) – aurait mérité d’être interverti avec celui des Mass Hysteria. Car si, certes, l’équipe de Mouss a su le mieux exploiter le principe des écrans panoramiques, l’homogénéité du set et le souffle court du chanteur ont laissé peu de place aux rebonds… Tout l’inverse de la générosité collégiale des punks Dropkick Murphys et The Rumjacks, représentants celtiques de l’étape. Ne manquait alors que les impassibles Gojira, le pastiche hilare d’Ultra Vomit [même si le show a peu évolué ces dernières années…] et la force tranquille du stoner chevelu de Fu Manchu pour offrir une ouverture sans véritable accroc.

SAMEDI, C’EST PUNKY ? C’est en tout cas la fusion de Skindred – malgré une programmation malheureuse en matinée – qui a retenu toute notre attention... Mixant chant ragga, riff heavy et rythmiques rapides, le set réveilla l’assistance, entre brimades et pogos ! Malgré quelques accents plus lisses (= lorgnant sur Linkin Park), le rock de The Fever 333 a suivi une même tendance, prouvant toute l’utilité de créer des ponts entre les genres. Tout l’inverse du punk allemand Mad Sin, britannique via Sham 69 ou français avec Les Wampas… Trois pays, trois ambiances et une même contestation restée dans son jus. D’ailleurs, côté vieilles gloires inoxidables, les clinquants KISS, les pépouzes ZZ Top et le best-of (parfois inégal) du Bal des Enragés ont joué eux aussi leur habituel rôle de madeleine de Proust. Heureusement, le rock électro-fluo-inquiétant des Punish Yourself est venu salir un peu l’ambiance de têtes d’affiche un peu trop propres sur elles.

DIMANCHE TROP THRASH. Si leur set était finalement plus statique que lors de leurs précédentes prestations, Nova Twins a su ramener un vent d’air frais dans un dernier tour de piste entre canicule et trop-plein de double-pédales ou de solos. Car les sets des gros bras de Slash, de l’hypnotique Tool ou compact (et ultime – le groupe prenant sa retraite) de Slayer étaient évidemment techniques… Mais ils sacrifiaient parfois, à force de démonstrations, une part de spontané pourtant bienvenue. Idem pour Lynyrd Skynyrd en mode automatique, plus efficace pour l’apéro que pour les tentatives de karaoké. Tant pis, l’occasion était trop belle pour aller rendre visite à la Croix-rouge constater que les poches de glace étaient distribuées en grand nombre ; rencontrer quelques YouTubeurs (Fernando Rock Show, Metalliquoi, Nota Bene…) ; goûter la cuvée Muscadet de l’année (bonne, ce qui ne fut pas toujours le cas) ; et regarder l’un des meilleurs lives “contre-teuf“ de l’édition : le duo La Gendarmerie, offrant des conseils de prévention sur un beat hip-hop et concluant ainsi le périple avec un même brassage improbable et une ironie hilare. Tout est dit.

Prochaine édition : 21-23 juin 2020
> www.hellfest.fr

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article