Samuel Degasne

Journaliste dépendant & théoriste musical.

HOCUS POCUS : comme par magie

HOCUS POCUS : comme par magie

Si le numéro est hélas avorté, personne n’avait pour autant vu venir le “truc“… Abracadabra – le temps d’une tournée : réapparition d’Hocus Pocus, collectif hip-hop 90s et maison-mère de projets satellitaires (C2C, AlltA, Ledeunff...). Rencontre avec son cofondateur 20Syl.


« 1995 », c’est évidemment le blase d’un groupe de hip-hop du sud de Paris (comprenant notamment Nekfeu). C’est aussi la date de création d’Hocus Pocus, dont on n’avait jusque-là jamais mesuré le poids des années, tant la pertinence des Nantais ne souffrait pas encore d’anachronisme... Or, si les premiers ont annoncé un arrêt définitif en début d’année, les seconds continuent leur art de la prestidigitation avec un réapparition éphémère cet été, après avoir longuement répété le numéro de la femme coupée... Pas d’écran de fumée pour autant, les retrouvailles sont « sans suite » nous prévient-on, même si la discussion au long court distille des « on verra » et autres « pas de pression »…

C’est d’ailleurs la modestie de ses membres qui les ont toujours préservés d’une trop grande starification – mettant parfois sous silence leur apport essentiel à un hip-hop qui mettait à égalité musique et textes, sans sacrifier l’un ou l’autre… Exemple ? 20Syl a réalisé un certain nombre de remix : Oxmo Puccino, Rihanna, Ed Sheeran, Gregory Porter, Kendrick Lamar, Ibrahim Maalouf, Yaël Naim… Avec une même force tranquille et un sourire discret, quand on le sait pourtant – en privé – obsessionnel. Un flegme de surface peu étonnant pour un quadruple champion du monde DMC (qu’il partage ici avec Dj Greem). Quant à David Le Deunff, il a assuré les premières parties de Keziah Jones ou encore Nneka, et joué notamment avec Asa… Quoi qu’il en soit, cette constance dans le parcours et cette élégance à ne jamais rappeler un cv pourtant intimidant, c’est ce qui a toujours rendu Hocus Pocus aussi attachant.

« Retrouvailles », donc… Le mot convient parfaitement à la remise en mouvement de ce corps protéiforme, dont les membres avaient pris leur indépendance sans en signaler le licenciement. Séparation des corps, certes, mais pas totalement des esprits quand – rejouant à l’occasion d’une exposition rétrospective sur le rock nantais – l’envie est revenue de ne faire momentanément plus qu’un… Il était temps : la bande nous a laissé orphelins, depuis bientôt 10 ans.
Il faut dire que l’entreprise a bien grandi depuis la mixtape publiée par ses deux MCS fondateurs (20Syl et Cambia), il y a 23 ans... Création du label On and On Records en 2001, lauréat tremplin des Jeunes Charrues en 2002, nomination pour les Victoires de la Musique et disque d’or en 2008, Olympia, tournées au Japon… Trois albums plus tard, le Petit Poucet est devenu ogre autant qu’une famille reconstituée. Le noyau dur, affranchi du simple MCs Vs DJs, a dépassé le nombre de doigts de la main : 20Syl (MC et compositeur), David Le Deunff (guitare et chant), Hervé Godar (basse), Antoine Saint-Jean (batterie et cuivres) et surtout Dj Greem, membre avec 20Syl de C2C (ex-Coups2Cross). Et ce ne sont pas les chassés-croisés qui ont manqué ses dernières années…

Mais commençons par la fin : pourquoi ne pourrait-il pas y avoir de suite, d’abord ? « Nous avons toujours eu un processus créatif particulier », signale 20Syl avec le ton posé et inchangé que l’on lui connait depuis des années… « On ne s’est jamais retrouvé pour répéter. Je travaillais généralement une maquette sur laquelle les autres se greffait … Or, aujourd’hui, mes différentes activités me focalisent plutôt sur la composition que l’écriture de textes… Et puis, je veux vraiment prendre le temps de mener à bien mon projet de rampe sonore [ndla : un “U“ transformé en surface sensible et visuelle, permettant au skateur d’interpréter la musique que l’artiste a composée] et, surtout, la sortie d’un album solo, version beatmaker. [ndla : morceaux instrumentaux pour le hip-hop] »
Un holà qui n’empêche évidemment pas quelques réorchestrations sur scène… « En live, on a toujours explosé les arrangements et les structures. C’est l’avantage d’avoir des disques très produits… », se moque à peine 20Syl. Avec le recul, l’artiste trouve que, à trop avoir voulu montrer sa technicité au sein d’Hocus Pocus, il oubliait de laisser parfois la place aux respirations et autres accidents. Aujourd’hui, 20Syl est lancé dans une quête d’essentiel et d’efficacité, ajoutant, taquin : « Qui sait, avec cette tournée… Ça va peut-être nous créer des envies ? » Qu’est-ce que l’on vous disait…
Mais réenfiler un costume, c’est aussi faire sien un esprit de corps : « Ce n’est étonnamment pas très difficile. On retrouve nos marques rapidement… Il faut surtout aller chercher dans sa mémoire physique. Si tu ne réfléchis pas trop, le corps parle à ta place... Si tu anticipes ? Ça bloque ! » Cette dissociation du corps et de l’esprit, l’artiste l’a tellement pratiquée qu’il se dit capable de « prendre des notes » tout pendant qu’il rappe. Au-delà de la mémoire des formes, la confession reste malgré tout troublante. Ce groupe devenu géant, aurait-il échappé à ses créateurs ?

Mais avoir un MC et compositeur qui traine ses baskets depuis près de 25 ans dans le milieu hip-hop, c’est aussi l’occasion – trop belle – de recueillir son regard sur la scène actuelle. Surtout quand celui-ci, en interview il y a quelques années, se plaignait du peu de représentation du style en festival… « C’est vrai que le hip-hop arrive à toucher un public plus large aujourd’hui. Et que ce soit Lomepal, Romeo Elvis ou la trap [ndla : courant musical 90s du sud des États-Unis basé notamment sur du kick et du sub-bass] de Damso... Logique : cette nouvelle génération s’affranchit plus des codes que la nôtre. Ils ont moins peur de chanter, d’avoir des arrangement pop et électro, voire d’être en compétition avec l’outre-Atlantique. » 20Syl avoue que cette liberté l’inspire : « La chanson “Basic“ d’Orelsan, par exemple, ne ressemble à rien… C’est culotté, c’est radical… Bravo. » On sent que le producteur a repris sa casquette, citant également la bonne forme de scène local (les Nantais Voyou, le beatmaker Moussa, les rockeurs Ko Ko Mo…)
La production, c’est précisément une des activités principales du cofondateur d’Hocus Pocus ses dernières années. Celle qui lui vaut aussi un gentil statut d’érudit, capable de disserter sur le jazz, à l’image de ses contemporains américains : A Tribe Called Quest, Mos Def, Jay Dee, Jurassic 5, Pete Rock ou encore The Roots (qui, depuis près de 10 ans, accompagne notamment Jimmy Fallon dans l’émission The Tonight Show sur NBC). « Cette connaissance me vient de la culture du sampling. Aujourd’hui, il est normal que ce type de quête s’amenuise : les méthodes de fabrication sont différentes ! Il y a moins de recherches et de références, mais plus de composition... » Et tant pis pour les ponts entre les genres et les époques, à l’instar de Run-DMC en duo avec Aerosmith ou le Wu-Tang Clan samplant des morceaux souls méconnus. Et tant mieux pour la note de droits d’auteur à régler après sortie ?

Il n’empêche que si la jeune génération l’inspire sur la forme, l’influence ne s’exerce pas encore sur le fond : « Il y a 0 engagement dans les textes… Alors, je sais qu’il existe une lassitude du système politique et que cette neutralité polie touche d’autres styles que le hip-hop, mais tout de même… Même les Victoires de la musique ne sont plus l’occasion d’une prise de parole… Si ! Il y a Bigflo & Oli avec leur chanson sur les réfugiés, “Rentrez chez vous“, mais qui d’autre ? » Mais plutôt que de s’enfermer dans le rôle du papy ronchon pestant après la fuite des cerveaux, l’artiste y voit plutôt « une sorte d’autocensure générale… Avec les réseaux sociaux, tout le monde commence à avoir peur de dire des conneries. Les prises de position sont donc tues. Certes, il y a d’autres moyens d’expression que la musique et il est difficile d’avoir le bon ton… Avec Hocus Pocus, nous, on essayait l’autodérision… [ndla : le titre “Pascal“ ou l’histoire de ce billet de 500 francs passé de main en main – parfois douteuse – pour finir en héros, brûlé par Gainsbourg] Mais en aucun cas, la musique n’était réduite à un simple divertissement ! » 20Syl cite pour exemple à suivre le milieu du skate qui, malgré son entrée aux Jeux olympiques, a su conserver un élan artistique et quelques poches de résistances underground. Pourquoi pas le reste ?
Concluant majestueusement sur le fait que, sur scène, Hocus Pocus aura un décor sobre, sans surenchère. « Il ne faut pas oublier que nous sommes 9 ! Nous voulons que les gens restent focus sur le son et l’énergie, notre envie de jouer… » (il réfléchit) « Là aussi, une sobriété plus si courante que ça, finalement, non ? », lâche-t-il dans un clin d’œil.

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