1 Décembre 2018
Créé en 79, le mythique festival de découvertes à Rennes lorgne tranquillou-biniou sur le bientôt-demi-siècle d’existence. L’occasion de quelques levers de coude avec son inusable programmateur, Jean-Louis Brossard. Elle est comment, alors, cette cuvée du 5 au 9 décembre 2018 ?
Oh bien sûr, personne n’aurait imaginé que le concert de soutien à une association rennaise en déficit (Terrapin) créerait l’hydre qu’est devenu le festival aujourd’hui... Car 39 éditions plus tard, le festoch’ en a dépucelé plus d’un de l’exception culturelle française… Björk, Ben Harper, Lenny Kravitz ou Nirvana ? Ni plus ni moins que leur toute toute première fois dans l’Hexagone. Quant aux Daft Punk, Mano Negra, Noir Désir, The Fugees et autres Beastie Boys (la liste complète donne autant le tournis qu’une cuite au chouchen), c’est bien leur passage dans la capitale de la galette-saucisse qui leur ouvrit la porte du grand public. Avec une radicalité éditoriale constante, celle de l’avant-garde et de l’exclu, qui n’effraie toujours pas… Pas étonnant que l’institution eut le droit à son chapitre en Chine, Norvège, République tchèque ou Russie : les “Trans“, par son éternel brassage des esthétiques musicales et des pays, n’ont jamais aussi bien portés leur nom.
Reste que l’anniversaire n’est pas trop du goût de la maison. « Ce sont les autres qui me parlent de ce compte rond ! Mon obsession est restée la même : quels nouveaux artistes vais-je pouvoir trouver ? », coupe Jean-Louis Brossard, co-fondateur et épouvantail affable d’une manifestation tentaculaire. « Les Trans Musicales sont un focus particulier, mais ça reste la partie immergée... Toute l’année, je programme des concerts et des résidences, je goûte, je confronte… » La métaphore de la fusion food, où sont testés des ingrédients venus du monde entier tout en rejetant l’académisme du métier, semble évidente… « La nourriture est aussi une de mes passions dévorantes... Et, comme pour la musique, j’aime cuisiner pour les autres ! » Car, chez le taulier, point de frustration. La musique ? Il en a fait enfant (du classique, essentiellement) et s’est vengé – à 25 ans – en « poussant le volume à fond parce que le voisin boulanger était dans son fournil »… Restait plus qu’à voir en grand : l’année suivante, les Trans Musicales étaient créées.
40e édition, donc, et sa nouvelle fournée de quasi-inconnus, dont les paris sur l’explosion médiatique restent ouverts... Qui, des 83 groupes programmés pendant 5 jours sortiront du lot : la psyché-pop autrichienne de Pressyes, le blues UK de The Surrenders, l’extravagant rock’n’roll espagnol de Vurro, l’électro-pop frenchy de The YD ou le kuduro angolais de Pongo ? Là est l’intérêt de ce festival d’ouvertures qui, a contrario d’une uniformisation de la concurrence, sait marier prises de risques internationales et encrage local (11 groupes sont rennais).
Pour ceux qui néanmoins regrettent l’odeur des bougies, l’anniversaire se déclinera sous plusieurs formes : l’application Trans Music Maps, pour une exploration sonore des précédentes programmations ; ainsi qu’une exposition de photos d’archives. De quoi se réapproprier l’histoire en attendant que le chapitre 2018 n’imprime les rétines…
Avec un dessein que l’on devine à force d’éditions : et si le but inavoué était un jour d’avoir accueilli un groupe de chaque pays ? « C’est mon rêve... Hé hé. Pour l’instant nous en sommes à quoi… 92 pays traités ? [sur 197]. Pas mal, non ? Bon, je ne programme pas si ça ne me plait pas, mais cette dimension n’est pas sans m’exciter. D’autant qu’elle permet parfois de parler de la situation sous-médiatisée d’un pays... »
Un enjeu social que l’on oublie parfois dans cet exercice d’équilibriste… « Évidemment, tout le monde parle d’Étienne Daho, Stephan Eicher, Bérurier Noir, Amadou & Mariam, Justice, Stromae, M.I.A., etc. Bien sûr ! Mais moi, des histoires comme The Dizzy Brains, des rockeurs malgaches programmés en 2015, m’émeuvent… C’était la première fois que les types quittaient leur île et voyaient la mer. Mais surtout, après leur explosion ici, le quatuor a pu faire une tournée en France et obtenir le statut d’intermittent. Sans ce statut, et la prise en charge qui va avec, le bassiste serait sans doute mort du cancer qui s’est développé quelques mois après… Ça fait fleur bleue, hein, mais accorder autant d’importance à l’humain qu’à la musique me semble être l’essentiel de notre mission, vous ne croyez pas ? »