13 Octobre 2018
INCARNER. Oublions la « pop boisée » et autres « anti-folk », avec chemise à carreaux et tâches de macchiato… Ici, c’est le medium (la guitare) qui a dicté l’élan : pas l’inverse. Idem avec les habituels clichés sur la nature et la solitude du grand méchant… Si l’Alsacien est peu à l’aise en milieu urbain, ce n’est pas pour autant que sa musique sent l’sapin. Ou les Appalaches… Pas plus que son projet The Wooden Wolf signifie « loup des bois » ! Au contraire : se ressourcer du côté de La Fontaine, c’est découvrir que ce loup n’est pas de marbre... Que face à la domestication du chien, il préfère la liberté. Les stigmates à la facilité. Car oui, cet Alex Keiling est fait de ces matériaux naturels qui savent exploiter ses aspérités. Tant que l’authenticité est préservée.
DÉCHARNER. Pas étonnant qu’Alex envie la musique classique pour ses dynamiques et ses durées : la sienne fuit autant les cases que les remplissages. Les notes vibrent, acceptent le vide… Se jouent en une prise, à la maison. C’est un folk photosensible qui expire la nuit. Et la preuve que les accords les plus simples peuvent conserver leurs sommets. Car si sur “St John’s Prayer“ (clin d’œil à Dirty Three), The Wooden Wolf laisse parler la musique, ses arrangements n’en sont pas moins lourds de sens : contrebasse frottée et se perdant dans les échos (“Busy Being Born“) ; batterie douloureuse (“Little green Eyes“) ; solo nerveux (“Winter“) ; jusqu’à l’envie d’investir tout le manche (“Funny How“) ; ou d’utiliser des cloches de Bavière et un vent d’Arctique (“Broken Night“)… Ou comment, sur la forme comme sur le fond, questionner le monde du vivant.
EXORCISER. Pas étonnant que “Winter“ donne son nom à l’album. Ici, ça caille et l’on se réchauffe comme on peut. Là est la solidarité de la meute, à panser le fantôme d’anciennes relations (“Little Green Eyes“ et “It Takes An Angel To Make A Ghost“), à expulser ses toxines, à se raconter dans la passion (“Lying High Above“), la sexualité (“Thursday Morning Blues“ et “A Mouthful Of Sky“) ou la mort (la réponse à Dylan “Busy Being Born“et la protest song “Four Bullets For Berta Caceres“). Car que se passe-t-il quand il n’y a plus personne avec qui hiberner ? Qu’il n’y a plus de chair sur les os, quand il y a pourtant besoin de celle des autres pour se rendre compte de la sienne ? Les choses heureuses ne se racontent pas… Ne reste alors que la mélancolie, ce « bonheur d’être triste » et une pochette qui convoque Bukowski. Bref : la musique pour incarner, décharner et exorciser sa vie.