5 Mai 2018
Il y a 10 ans, après avoir été notamment tourneur de Sharon Jones and The Drap-King, deux Gascons décidaient de sortir leur 1er album. À la différence qu’ils sont leurs propres manageurs/producteurs/tourneurs… Ne se jugeant pourtant pas assez indépendant, les rockeurs se lanceront 2 ans plus tard dans l’élevage d’oies afin de s’auto-alimenter... À l’occasion de la sortie de leur 6e album en mai et d’un livre-anniversaire, on est allé vérifier pourquoi leur quotidien insuffle à ce point leur musique.
« On n’a pas envie de raconter notre enregistrement à Nashville. On s’en fout ! Encore moins en marge d’un concert... On est en pleine période de gavage et on doit se faire remplacer par un voisin de 80 piges… Alors, ce n’est pas pour aller enregistrer une connerie ! Venez plutôt à la ferme : on parlera ART et démarche intellectuelle qui essaie de tirer les choses vers le haut… » Voilà. Ils ont toujours été comme ça les Cluzo : des put*** de têtes de mule ! [eux se disent « pugnaces »] Du genre à vous balourder leurs règles du jeu et puis c’est tout – peu importe si leurs oignions font chialer... Pas qu’ils soient spécialement condescendants [on pourrait parfois s’y méprendre], mais quand on adopte leur prosélytisme, on prend l’habitude du dominant. De tracer son sillon, sur vinyle et dans le champ, sans aide extérieure. Des caboches aussi dures ? Ça ne se dompte pas, malheureux… Allons ! Ça s’apprivoise avec le temps…
La 1re fois qu’on a croisé ces Gascons, c’était au festival des Vieilles Charrues en 2011. En interview, le chanteur avait tartiné Ben l’Oncle Soul (« gros con », « un boulard comme ça », « musique de merde »…), jurant même avoir pissé sur les pneus de son tour bus… Rock ! La curiosité était assez piquée pour aller vérifier si ces forts en gueule en avaient autant dans le manche. [spoiler alert : la réponse est oui] Sur place, les bourrés se mettaient joyeusement sur la tronche dans un pogo foutraque, attisé par le duo qui charriait la Bretagne et les bassistes [Fuck The Bass Player est le nom de leur label], brandissant leur drapeau et allant jusqu’à mitrailler de phalanges un impétueux s’approchant trop près du micro… La vie, sans édulcorant. Les bouseux parlaient aux bouseux : comment ne pas tomber amoureux ?
On avait tenté l’année suivante une nouvelle bravade, mordant ce coup-ci les premiers. Quid de Mont-de-Marsan sans Intervilles ? Hein, dis ? Ah ah ! … Échec : on s’était vite fait renvoyer dans les cordes (de l’étable) sur l’ignorance des citadins du monde animal… Même au Download festival en 2016, on croyait avoir trouvé la faille : quoooi ? Des marxistes au sein d’un événement Live Nation, une des plus grandes multinationales du spectacle ? On tenait enfin notre revanche ! … De courte durée encore. L’argument : ils n’avaient rien contre ceux qui s’assumaient et que l’écueil se situait plutôt du côté des structures détournant l’argent public pour s’enrichir. Encore raté.
En 2017, on les a recroisés à Madagascar [on avait soufflé leur nom à un festival local, persuadé que leur Do It Yourself borné pourrait inspirer]. Leur 46e pays en 10 ans ! Sur scène, le duo avait mis en garde sur l’appropriation des terres agricoles par les Chinois. Egaux à eux-mêmes. L’entrevue, trop courte, nous avait seulement permis d’apprendre l’enregistrement d’un nouvel album. Puis on les a vu de nouveau aux Vieilles Charrues, où ils s’étaient invités en amont chez le programmateur pour savoir si le festival correspondait encore à leurs valeurs, la rillette d’oie entre les chicos... Dans les coulisses de l’événement, le chanteur avait hurlé au loin un « Défonceeez-le ! » hilare pour perturber notre interview de l’artiste électro Feder... Eux qui fustigent la « musique USB », c’était de bonne guerre.
Second e-mail : « Couvrez-vous ! La Gascogne reste gelée… Et pas tuée comme en ville ou sur la côte landaise ! Mais ça va, vous des êtes des rustiques, non ? » Tenez. Qu’est-ce que l’on disait ? Ben oui, justement. Qui mieux pour le bras de fer qu’un fils (photographe) d’un agriculteur bio et le petit-fils (journaliste) d’une éleveuse d’oies, tous deux issus de la Bretagne et sa périphérie ? Un derby du Grand Ouest s’annonçait ! Car si les Cluzo ont souhaité un retour aux traditions, le duo venait tout de même de la ville et s’était rencontré en école d’ingénieurs… Hé oui ! Nous ? Hum. Nous avions fui nos campagnes pour épouser (enfin) l’anonymat et la tolérance des métropoles... Ne plus être plouc et se cabosser le corps pour une misère. Au vu du miroir inversé, le débat promettait d’être fructueux.
(suite)
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Infos
* Album “We The People Of The Soil“ (Fuck The Bass Player, mai 2018)
* Livre-anniversaire par Romain Lejeune (Braquage Musique, déc. 2017)
* Produits de la ferme
* Documentaire Rockfarmers (2015)
Photo : © Denoual Coatleven