2 Avril 2018
MEMPHIS (Tennessee)
Le trajet en bus ? Une sorte de remake des films des frères Cohen, mais écrit par Robert Rodriguez : « Beaucoup de prisonniers (parfois même avec leur uniforme), des gens qui prennent de l’héroïne, d’autres qui se battent… C’est toute l’Amérique alternative qui se retrouve. L’ambiance est aussi chaude que la climatisation est glaciale… » Car, si la ville du gospel et du rock’n’roll n’est qu’à 2h30 de Nashville, le changement de décor est radical : « champs de cotons et bêtes se partagent les bas-côtés de la périphérie ». Trait d’union entre deux Amériques radicalement différentes, Memphis tente de concilier les suds : fermes délabrées des Dixies, bayous marécageux de Louisiane et port européen de la Nouvelle-Orléans ; avec un ouest impérieux ponctué par les riches fermes des plaines du Midwest : et un nord industrialisé comme Chicago ou Détroit. « Dès ton arrivée, tu vois clairement le squelette du rêve américain des années 50… Les Chevrolet ? Elles sont à Cuba depuis longtemps… »
L’étape est pourtant un passage obligatoire pour Théo. Comment passer à côté des lieux qui ont vu les débuts B.B. King, Carl Perkins ou encore John Lee Hooker ? D’autant que le Parisien a toujours préféré les chœurs à contrechamp à la Tina Turner et Aretha Franklin (elle-même née à Memphis), plutôt que l’unisson pratiqué en country.
Preuve d’ailleurs du grand écart qui subsiste, la ville accueille également l’un des berceau du crunk, hip-hop sudiste, sombre et agressif. À l’image des orages locaux : « de courtes et fréquentes averses chaudes qui ne dépassent jamais une heure. » L’ambiance est donc plus roots, plus dure, mais « plus proche de son cliché que celui de Nashville », souligne Theo... Après avoir assisté au Cooper Young Festival (« trop kitch à mon goût »), direction la Full Tabernacle church – ô combien ironique pour un franco-canadien. C’est là qu’exerce l’ex-soulman Al Green, devenu prêcheur… Et l’énorme Cadillac rouge, doublée en zèbre et immatriculée “The Lord Is My Driver“ garée devant ne fait aucun doute : le maître est là ! Pression.
« Il est entré avec sa cape rouge. Il y avait peu de monde dans l’église… Difficile de prendre conscience que c’était bien lui ! En fond : un orgue, une guitare, une basse, une batterie et un chœur black de tout âge… Sachant que pendant la messe, qui alternait des bouts de ses morceaux entre deux discours religieux, il n’avait pas son timbre habituel, doux et sexy : il hurlait ! » On est effectivement loin de son tube “Let’s Say Together“, repopularisé par le film Pulp Fiction en 94… Quand l’impensable arrive : « Un type s’est pointé avec le besoin de se faire bénir en plein prêche. Al green s’est interrompu pour demander si d’autres étaient intéressés… J’y suis allé. Tremblant. Me suis agenouillé, sans trop oser croiser son regard... Quand j’ai relevé les yeux, il était là. M’a dit de rester calme, a posé sa main sur mon front et a chanté “Precious Lord“, un gospel traditionnel de Thomas A. Dorsey… » Forcément, les visites des studios Stax, Sun records ou de l’artère principale Beale street ont ensuite le goût du temps suspendu. « Je ne suis pas religieux, mais j’ai toujours été touché par la ferveur. Il y a des qualités dans la musique sacrée que tu ne retrouves pas ailleurs, notamment la puissance », raconte Theo, encore rêveur.