2 Juillet 2017
S’ils fouillent aux arrières des magasins pour en extraire aliments encore consommables ou matériaux recyclables, aucun « dumpster » ne s’estime pour autant voleur ou éboueur amateur. Au contraire : ces glaneurs s’inscrivent dans une démarche plus éthique qu’économique… Rencontre avec Khalil Gibran, autoproclamé « hacker créatif » et fondateur du Montréal Dumpster dive.
Quel lien personnel entretenez-vous avec le mouvement ?
Dès 4 ans, je ramassais tout pour accumuler des montagnes chez moi. À 11 ans, je réparais les vélos de voisins ou d’amis en autodidacte... En 2008, j’ai même créé un commerce à partir de pièces de vélo recyclées (aujourd’hui, j’intègre des composants électroniques, des meubles…). Puis, en 2012, des amis punks m’ont parlé du concept du dumpster diving… J’ai découvert, dans les poubelles, des quantités folles de déchets, dont la plupart était des objets neufs ! Étant donné que la plupart sont dans des conteneurs sous clé, j’ai donc créé une page Facebook pour échanger des bons plans, s’entraider… À plusieurs, c’est toujours plus plaisant et sécurisé… 5 ans plus tard, nous allons atteindre les 6 000 adhérents !
L’engouement a été immédiat à Montréal ?
Au début, cela a surtout attiré des marginaux… Mais depuis 3 ans, les habitants prennent de plus en plus conscience du problème. Mes amis, aussi, étaient réticents ! Puis, quand j’ai ramené 3 sacs de poubelles de nourriture bio (yaourts au chocolat, pain au levain…), ils ont halluciné : il y a avait pour 250 dollars ! Attention, les prix sont chers au Canada, parce que notre agriculture est moins indépendante que la vôtre. Voyez le prix de notre fromage…
De mon côté, j’aurais aimé dire que j’ai commencé l’activité par choix, mais ce n’est pas le cas. C’était pour subvenir à mon absence de revenus et au fait que je devais prendre en charge ma mère. Aujourd’hui, je n’ai plus de problèmes financiers, mais l’action reste pertinente. Sans ma précédente situation, je n’aurai sans doute pas fait ça avec autant de vigueur !
De quoi sont composés les membres ?
Les ¾ sont étudiants. Il y a même des professionnels, comme ce type qui possède un bar alterno-punk ! Moi, j’utilise mes comptes personnels. Rien n’est caché. Nous ne sommes pas des clochards et la majorité reste respectueuse : il n’y a pas plus de salissures qu’après le passage d’éboueurs… Si notre mouvement a été l’un des premiers à être aussi structuré, je sais que l’activité existe aussi à New York, Londres et Berlin. J’ai également des contacts avec des habitants Marseille et Toronto qui souhaitent faire la même chose. En parallèle, je vais essayer de monter un fab lab, dans le but de créer des projets informatiques et collectifs à partir de solutions libres et open-sources.
Votre mode de fonctionnement est loin d’être pyramidal…
Tout à fait. Il n’y a pas de concertation, seulement des initiatives personnelles qui deviennent collectives. Surtout : nous avons des employés qui nous préviennent… C’était l’objectif de ce réseau ! Comment croyez-vous que nous avons autant d’informations ? Hé hé. La difficulté, c’est qu’ils peuvent se faire virer… Il y a même des employés qui doivent émarger une feuille lorsqu’ils jettent, pour savoir si ce ne sont pas eux qui ont donné l’alerte !
Que vous reproche-t-on ?
Les commerçants ne veulent pas que le public ait accès à la gratuité. C’est le classique « Si on donne, personne n’achètera ! » Ils ne comprennent pas qu’offrir des invendus périssables à des gens qui sont dans le besoin pourrait – au contraire – leur apporter plus de clients… Attention, plusieurs chaînes donnent déjà à des associations, hein. Et beaucoup d’habitants sont en accord avec nos actions… Mais il subsiste toujours cette volonté de ne pas baisser les prix, de créer une fausse rareté… C’est du dumping économique ! Il devient vraiment urgent d’en finir avec cette mentalité de « branding ».
Pourquoi ne pas monter un mouvement politique ?
Même si ce n’est pas aussi explicit, il y a évidemment un désir d’action politique plus concret. Nous avons même réfléchi à réaliser des vidéos ! Or, je ne suis ni politicien, ni n’avons les moyens pour l’être… Cela ne nous empêche pas d’être proches du concept de décroissance durable (et non le « développement durable » qui, lui, cherche à concilier l’environnement à l’économie). La solution à la faim dans le monde ? Elle se trouve dans les poubelles, hein. C’est criminel de jeter autant avec des gens qui meurent de faim. L’autre jour, j’ai trouvé 25 kg de pain ! Pire : j’ai des amis qui ont été payés par la marque de vêtements Aldo pour découper, pendant 2 semaines, la précédente collection ! Ça me donne envie de pleurer…
Quelles solutions existe-il ?
Je rêve d’un logiciel d’alerte qui indiquerait les disponibilités aux associations spécialisées, mai les politiques sont désintéressés. Il n’y a aucune initiative de la part du gouvernement ou de la ville… Ce serait pourtant si simple, par exemple, de créer une annexe de récupération au sein des déchetteries. Et bien non : les gens préfère payer pour recycler ! Et, croyez-moi, les fermes tertiaires qui recyclent le bois sont très bien payées… Pour la nourriture, les dates indiquées sont irréalistes. D’autant qu’il y a une différence entre « pourri » et « moche »... Les fruits et légumes sont abimés ? J’en fais une sauce ou une confiture ! Voyez, ça ne nécessite pas de technologie…
Je suis d’originaire du Liban. Là-bas, il y a beaucoup d’arbres fruitiers... Les invendus, on les donne aux voisins. Alors, pourquoi pas ailleurs ?