Samuel Degasne

Journaliste dépendant & théoriste musical.

Perturbator : le synth esprit

Perturbator : le synth esprit

Drive, Stranger Things… En se réappropriant le clavier comme caution indé, Hollywood nous refait le coup du surgelé. Version panée, enrichie à l’hormone. Revendeur de souvenirs pour touristes en manque, James Kent (fils de Nick, le rock critic) a profité de l’échappée pour déplaire à son père.


Forcément. À faire péter un blaze qui bave du côté de Terminator ou Predator avec du heavy-synth en bande-son, on s’attend au molosse. Ou à sa version barbue/trapue : bide enguirlandé de chips et yeux en nombril, cramés par des heures d’insociabilité derrière un écran. Sur le physique, on se sera aveuglément lourdé. Le badass des photos sous néon, qui cartonne grâce à sa musique de jeu vidéo fantasmé, s’éclipse derrière une grande tige avec bras manufacturés à l’encre et casquette inversée. Look skateur. Soda sur le sous-bock. Clope entre le pouce et l’index...
Tout juste, pour expliquer ce succès qui a fait de 2016 son année, apprend-on que James travaille seul, chez lui, sur FL studio. Qu’après avoir été guitariste de session, seconde main pour groupes metalleux, il a claqué la porte (du frigo). « Répétitions tous les jours dès 8h, en mode entrainement de foot ? Non, mais ça va ? On n’est pas dans un concours ! Et puis, un groupe, c’est trop d’interférences dans la création. J’avais besoin d’être seul. » Nous y voilà.


Ce qui marque chez James, surtout, c’est son âge. Gougouttes de femmes fatales mais vénéneuses, cylindrées, perspectives urbaines nocturnes, horizons dystopiques, religion fasciste… Comment un type peut-il à ce point violer notre adolescence pour y jouer les brocanteurs, tout en ayant été épargné par les coupes de cheveux à la con ? L’enflure. On découvre alors une vie parisienne aux murs tachetés de VHS. Avec rangements par genre. « Forcément, tu regardes les pochettes et les titres racoleurs… Puis, mes parents s’en foutaient de l’âge. Certains trouveront ça laxistes, démissionnaires, mais il y avait beaucoup de libertés dans cette éducation. Evil Dead, c’est mon premier ! J’ai encore la vision de la nana qui tape au cellier. Eurk… Je ne peux même pas avouer l’âge où je l’ai vu. Ce serait honteux… » Et lorsqu’il improvise une litanie sur le « manque d’intention » des slashers d’aujourd’hui, on ne sait plus si l’on doit l’embrasser ou le biffler. « On est dans le gimmick, comme dans la musique. Difficile de s’y investir. Ça provoque forcément une distance… » En creusant, on s’aperçoit surtout qu’il s’agit d’un attachement à l’esthétique, plutôt qu’une véritable érudition. Que les replay créent des poussées transgénérationnelles aussi subites que l’acné et ses boutons.

Fils de (presque) personne

D’autant que, côté généalogie, le rejeton appartient à la dynastie Kent. La filiation n’est pas fortuite : le père est un rock critic rosbif (NME, BBC, Inrocks, Rock&Folk, Libé), pote de Lester Bangs et de ses addictions, ex-coloc’ de la chanteuse de The Pretenders et ancien chanteur du groupe punk The Subterrancans. Celui-là même qui fit découvrir les Stooges aux Sex Pistols et considère que le métier n’est pas que d’écrire sur le rock, mais de le vivre.
Sa mère, Laurence Romance ? Ex-présentatrice de Rock Express (M6) et chanteuse de Radio Romance (produit par Mirwais), elle-même journaliste passée par Best, Les Inrocks, Libé et Rolling Stones entre deux-trois traductions de bouquins. Bref, un pédigrée qui a de quoi faire gueuler les pro-renouvellements de la classe journalistique. Moins que le piston, on mesure surtout la pression sur le fiston, qui s’étonne que l’on ne lui ait jamais posé la question. « Bien sûr ! Même si j’essaie que ce n’en soit pas une. D’autant que mon père n’est pas très fan des années 80, Vangelis, tout ça… C’est plus facile avec ma mère qui est moins 70’s. »

Le métal en guise de crise adolescente ? Plutôt classique. Mais l’électro ? Ce serait comme si la fille de Steffi Graf et Andre Agassi se mettait au ping-pong… « Que faire d’autre quand on est seul ? C’est parfait ! Puis, le style n’a pas d’autres limites que celles que tu t’imposes. Mon premier réflexe a été d’y mettre compulsivement toutes mes références… » On passera rapidement sur les John Carpenter et Twilight Zone en éternelles balises. Voire même sur « J’avais la volonté de faire la B.O. d’un film qui n’existait pas… » Blablabla. Interprétations multiples des auditeurs, etc. Ok. Ça, on peut l’imputer à la jeunesse (ouf). Bon. Concentrons-nous plutôt sur les absences. Miami Vice ? Jamais vu ! À la limite un Twin Peaks et un Star Trek avoués sous la torture de la rediffusion, mais aucun n’ayant influencé directement l’œuvre. Les jeux vidéo ? À peine Castlevania et Metroid, passant directement « de l’émulateur de consoles à celui des synthés ». Culture du zapping, toujours.
Alors, lorsque Perturbator est pressenti pour la B.O. du jeu Hotline Miami (2012), il n’y voit pas la consécration d’un rêve de gosse : « Ils m’ont contacté sur Facebook de façon nonchalante. Je leur ai répondu sur le même mode. C’est à la réception du contrat que j’ai halluciné ! J’ai surtout eu une prise de conscience : ce n’est plus que pour le fun... » Lors du lancement aux États-Unis, James est dans la maison de campagne familiale. Au grenier, seul endroit où l’on capte le Wi-Fi, son smartphone se met à gronder façon marteau-pilon : « Je suis passé de 1 000 à 7 000 personnes d’un coup, avec une notification par seconde… Ça fait drôle. Puis, j’ai ensuite reçu un chèque de royalties venant du Texas ». Fierté.

Post-post-modernité

Lorsque l’on pointe cependant le nombre impressionnant de tapineurs pratiquant la synthwave et partageant leurs créations sur Youtube, Perturbator se fait plus sévère : « Je ne sais pas si tous ces types ont la même passion ou s’ils font ça par cynisme marketing. Ça m’énerve ! Du coup, j’essaie désormais de casser les clichés en intégrant plus d’éléments modernes. De toute façon, il faut arrêter avec le terme rétro-futuriste : le synthétiseur est aussi un instrument d’aujourd’hui ! » Le pentagramme, mis en avant sur le dernier album et sur les réseaux a cet objectif : faire le pont avec son ancienne vie metalleuse, se réapproprier un sigle (à l’instar de Justice et sa croix), puis en finir – visuellement – avec les années pixels.
« Je vais de l’avant. J’utilise toujours le même matériel de base, mais en le contorsionnant. En le rendant plus sombre. Dans le black metal, il y a beaucoup de refoulés des eigthies qui n’osent pas se l’avouer. » Mais ça, c’était avant la médiatisation de la bande originale de Kung Fury. L’époque où les maigres groupes du genre jouaient, mi honteux mi-nerd, à cache-cache sur Soundclound. Depuis, même ta voisine tente le coming out. « Même si je suis arrivé en même temps que Drive, je ne suis pas fan de cette démocratisation. C’était bien, la marge ! En plus, nous ne sommes que cinq à faire des concerts… » Ne valait-il pas mieux une réhabilitation tardive que pas du tout ? « M’en fous que les gens trouvent ça moins honteux ! Moi, je n’ai pas changé. Si tu n’aimais pas avant, c’est donc que c’est une mode ! » Oui, mais il n’y a que les imbéciles qui…  Ah, ok. Le sujet est clos.
Et ces États-Unis, alors ? Pour un métis anglais, ça fait tout de même rêver ? « Évidemment ! », Avant de poursuivre, tel un marketeux sous Power-Point : « C’est mon public visé. Je rêverai de jouer là-bas ! D’ailleurs, je ne savais même pas qu’il y avait des amateurs de cette musique en France… C’est aussi pour cette raison que je parle en anglais sur les réseaux. »

De 17 à 40 ans

Il n’empêche que si son fan club varie entre « 17 et 40 ans » (nous annonce-t-on sérieusement) se pose toujours la question des plus jeunes. De l’absence éventuelle de références. De l’assimilation d’une culture dont ils n’ont parfois pas tous les codes. Ce qui les attire, James avoue s’interroger régulièrement sur le sujet : « Sans doute ont-ils aussi grandi, comme moi, dans l’ombre de leurs parents. Vivant, à travers les musiques synthétiques, une sorte de résurrection. » Françoise Dolto 2.0.
Et le live alors ? Là, encore, il a toujours la difficulté de la retranscription du travail réalisé. Après des mois de bricolage, arrive finalement cette récente date au festival Brutal Assault. L’artiste passe après Gojira et se sent penaud au milieu de la main stage. Il voit bien que la backing track avec lancement de samples préparés à l’avance ne va plus suffire. « Du coup, je viens d’acheter des gros synthés à l’ancienne. Je ne devrais pas le dire, mais… bien sûr que je pourrais obtenir le même son avec des claviers à 10 € pluggés en son Midi. Mais non. Fallait des trucs massifs avec finition bois. Il y a aussi un jeu de lights sur ma table et un pentagramme qui bouge. » De quoi, aussi, donner plus de travail, imagine-t-on. « Ça prendrait effectivement 1h d’expliquer tous les branchements aujourd’hui… Bon, je balance toujours une ligne derrière, hein, mais c’est un synthé en direct. Ça démystifie le truc. Spectacle, quoi ! »

Attention bonhomme : le jeanmicheljarrisme te guette... « Ah oui ? Merci. J’adooore. »

Hum. Ok. Le vieux con va se recoucher.

> Bandcamp

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