Samuel Degasne

Journaliste dépendant & théoriste musical.

LA COLONIE DE VACANCES/ Le temps béni de...

LA COLONIE DE VACANCES/ Le temps béni de...

Ce qui ne devait être que le nom d'une tournée entre amis (Papier Tigre, Electric Electric, Pneu et Marvin) a finalement mué en une création collective et rock. Soit : un ping-pong quadriphonique avec le public au centre.


Sur place, on ne sait où donner de la tête. Qui regarder. Quoi écouter. Avec le corps qui lâche à force de chercher à comprendre ou lutter... Car au-delà de la dimension esthétique indéniable – quatre groupes hexagonaux, sur des scènes surélevées, aux quatre coins du lieu – les sens sont forcément chahutés. Prise en étau, la foule hagarde chahute, échange entre elle, ne regarde pas dans la même direction. Certains ferment les yeux et dodelinent de la tête ; d'autres fixent un repaire des yeux (généralement la seule femme de la troupe, également chef d'orchestre improvisé), s'accrochent malgré eux à l'une des scènes, hypnotisés ; quand les derniers sont en perpétuel mouvement, à la manière de scientifiques procédant à des relevés, recherchant des variations, voulant capter les oscillations d'intensité selon les positions. Tous restent cependant dans le cercle.
Ce dispositif, les 11 musiciens en ont eu l'idée lors d'une invitation pour le festival Rayon frais (Tours) en 2010. Les quatre groupes devaient alors jouer à chaque angle du château... Six ans plus tard, la troupe a installé son sound system dans des endroits aussi divers que des musées d'art contemporain qu'au sein de festivals de musiques actuelles. Avec toujours une même formule : un répertoire unique, des scènes et des lumières se répondant en canon. Cacophonie de cymbales, guitares hurlantes, cris, cassures de rythmes... Malgré l'approche fractionnée et les formes bruitistes, tout est pesé. Millimétré. Même quand l'intensité monte c'est dans les côtes que l'équipée mérite son maillot de meilleur grimpeur – ou que la mélodie marque enfin son pas, celle-ci vient irrémédiablement se fracasser dans les échos.


Sensation perturbante, sur le fond comme sur la forme, pour un cerveau qui n'a pas le temps d'anticiper lui qui raffole pourtant du déjà-vu. Et pour avoir aperçu La Colonie de vacances sous un chapiteau aux Vieilles Charrues (Centre-Bretagne) ou au FME (Québec) sur une place publique, la composition de la foule est elle-même chaque fois remise en cause, preuve de l'adaptabilité de l'ovni. Interrogé au Canada, le collectif s'en amuse : "C'est vrai que nous sommes un peu décalé dans les festivals. Ici, au FME, nous étions programmé en tant que découverte, mais à La Route du Rock, il y avait véritablement des gens qui nous attendaient... On adapte d'ailleurs parfois le set en conséquence. Là, à Rouyn-Noranda, des mamies dansaient ! Une d'elles est venu pendant le concert me dire que c'était son anniversaire de mariage (40 ans) et que l'on lui faisait un magnifique cadeau... Au moins, ce n'est pas monotone."
Il est vrai que c'est la première année que la troupe s'attaque pleinement aux festivals, constatant que " si le public ne vient pas toujours pour notre musique, il est tout de même intrigué par l'expérience de la quadri." Cette expérience, Sourdoreille l'a filmé en 360° avec un son binaural, au Grand Chai à vin de Rouen (diffusé mi-août sur Arte). Rarement l'outil aura été aussi adapté. Car, l'une des difficultés du projet est de restituer pleinement les sensations éprouvées. Exemple : les balances étaient si longues qu'il a fallu voyager avec la même console... "Oui, mais ces contraintes d'enregistrement renforce l'attractivité aussi. C'est quelque chose qui doit se vivre. Et, à l'heure du vacillement du CD, c'est tant mieux...", conclue fièrement le collectif.

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(Murailles music)
Photo © M. Corral

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Et l'aventure individuelle ?

Tous affirment que le projet leur a beaucoup appris. Que s'il n'influence pas l'esthétique de chaque groupe, la méthodologie fait désormais autorité. Avec cette différence : réduit à trois membres, chaque unité peut se permettre de pousser les débats plus loin, quand le collectif impose logiquement démocratie et compromis. "Nous ne sommes ni dans la jalousie de l'autre, ni dans la fusion des styles. Seulement dans une émulation qui enrichit notre propre création. Cela nous nous empêche donc pas de continuer à sortir des albums sous notre identité propre. Et pour l'instant, c'est à notre avantage."

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