22 Octobre 2016
Fondé en 2004, le label parisien a lancé la 11e édition de son festival au Théâtre du Châtelet (Paris). L’occasion de (re-)découvrir l’exigeant catalogue de ces artisans, mélangeant artistes singuliers et identités plurielles.
« J’ai toujours rencontré des journalistes attachés aux contextes. Parfois même trop. C’est sûr que des artistes africains aveugles ou ayant vécu le génocide du Rwanda n’auraient sans doute pas eu la même carrière en taisant ce type d’aspérités... Chacun de nos disques a également son histoire, mais c’est avant tout celle d’une rencontre », introduit Laurent Bizot, ex-employé d’Universal music et sans lien de parenté avec le Jean-François homonyme qui créa notamment Actuel et Radio Nova, à part « le sens de l’aventure et le goût des découvertes ». Et pour cause : ses 22 artistes, entre pop expérimentale, jazz et Afrique, privilégient l’atypique. S’inscrivent contre le systématisme, quitte à dresser des tarmacs de fortune pour que les cultures s’y croisent.
Ces rencontres, ce sont autant des collaborations inattendues comme celle du malien Ballaké Sissoko avec Vincent Segal (Bumcello) que des hors-pistes orchestrés par le canadien Gonzales, l’anglaise Ala.ni ou encore le rappeur français Rocé. Sans autre fil rouge que décloisonner les gens et les genres. Quel en est le moteur ? « On essaye de voyager le plus possible (Afrique du Sud, Côté d’Ivoire…). Nous avons confiance dans le hasard et ce sont chaque fois des prises de risques payantes. Il faut pouvoir se lancer dans le vide et se laisser déborder par l’audace. C’est l’aventure même de la tentative qui rend l’histoire belle. Comme par exemple le camerounais Blick Bassy qui est venu, par hasard, réaliser une maquette dans le studio d’à côté ou le new-yorkais Chocolate Genius Inc. qui a enregistré dans un garde-meuble. Des maquettes impossibles à refaire et que nous avons sorties en l’état. C’est le vrai luxe des petites structures : être libre par rapport à l’argent (et ce n’est pas qu’une formule facile). Nous n’avons pas six niveaux de validation ou la nécessité de rassurer des actionnaires avant la sortie d’un projet. »
De là à revendiquer un retour aux évidences naturelles : « On fonctionne au coup de cœur. C’est, au fond, la vraie fonction du producteur. Il faut impérativement dérationaliser les choix artistiques (d’où le nom du label). Notre taille permet donc de concrétiser des envies. » Et quel plus beau symbole que cette réappropriation de l’Afrique, berceau de l’humanité ? Ou comment, après des décennies de colonialisme (même si la condescendance est encore de mise), le continent – en voie de réhabilitation – inverse les flux grâce à son vivier créatif… « Nous n’avons jamais théorisé notre approche, mais la musique africaine reste effectivement inspirante. Les musiciens font véritablement corps avec les instruments. Ce n’est pas seulement une pratique avec des écoles, des codes... Les médias ont parfois été dépréciatifs, alors que pour nous, cette musique est au-dessus de celle des autres. Ce n’est pas un simple exotisme. Et puis quelle humilité ! Pas théorisé, voyez, mais pas le hasard non plus… »
L’on pense alors à certaines scènes, comme La Fiselerie du Centre-Bretagne, refusant l’étiquette de « musique traditionnelle ». Préférant celle de « musique populaire ». Un positionnement partagé par Laurent Bizot : « Les classifications, c’est effectivement un truc de pros. Pour nous, la musique africaine est une musique d’aujourd’hui, même si elles ont des racines. C’est leur force ! Il peut y avoir métissage, mais aussi héritage, comme une sorte d’évolution darwinienne des genres. L’émotion y demeure cependant intacte et je pense que le public ne se pose pas ces questions. Pour peu qu’une programmation soit décomplexée, l’auditeur prend ce que l’on lui donne. »
Comment le label organise-t-il les rencontres entre deux artistes/univers/cultures ? « Ce n’est pas Rencontre en terre inconnue. Ou alors, des deux côtés ! Et cela peut prendre des années… Car c’est une approche humaine avant tout, avec un respect mutuel. La musique est peut-être un langage universel, mais la perception de chacun est différente. Il faut un apprentissage de l’autre. Segal, par exemple, a écouté pendant 20 ans de la musique malienne avant de jouer avec Sissoko. On prend le temps de pour que la greffe soit efficace. Et puis la plupart des musiciens, comme Mamani Keita, ont déjà vécu en France. Il reste une distance culturelle, mais leur contexte de vie reste proche du nôtre. Parfois, il y a seulement deux stations de métro entre deux artistes sans qu’ils se connaissent ! »
Comment, donc, ne pas tomber dans l’écueil de la compilation ethnique ? « Plutôt que faire fusionner les identités nationales, nous essayons de construire à partir des différences culturelles. De créer une nouvelle grammaire. Aller chercher des textures et des ressentis qui n’ont pas été assez expérimentés. Au fond, c’est très créole ! »
La majorité de ces artistes est donc actuellement sur la scène du Châtelet (le théâtre sera ensuite fermé pour rénovation). Une visibilité incroyable pour ce label à taille et démarche humaine, qui confie l’ensemble de ces pochettes au minimaliste Jérôme Witz. « Ce sera la première fois qu’un malien sera sur cette scène mythique… alors que le régisseur en est originaire ! », conclue fièrement Laurent, confiant dans les ventes. « Nous sommes collectionneurs de frissons et, heureusement, les goûts du public sont de plus en plus hétéroclites. »
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