Samuel Degasne

Journaliste dépendant & théoriste musical.

L'industrie musicale est-elle machiste ?

L'industrie musicale est-elle machiste ?

    

Lors de la soirée de lancement de la 19e édition du festival parisien Les Femmes S’En Mêlent, en mars, le documentaire « Band de filles » (Boris Barthes et Stéphanie Rouget) laissait entrevoir le quotidien de cinq artistes féminines : Cléa Vincent, La Féline, Le prince Miiaou, Marie Flore et Robi. L’occasion, post-projection, de s’interroger sur la place des femmes dans l’industrie musicale. Extraits.
 


Ondine Benetier (journaliste) : Vous le savez peut-être, j’ai écrit sur Slate une longue tribune sur le machisme dans le milieu. J’y raconte la drague de groupes en interview, les « Tu viendras les baiser plus tard » d’un tour manager avant de lui-même me serrer contre un mur, les insultes sexistes sous mes critiques d’albums en ligne, les regards appuyés, les remarques sur mes vêtements ou ma silhouette, etc. Le débat n’est malheureusement pas nouveau ! Je voulais simplement dire qu’il est difficile aujourd’hui, selon moi, d’être légitime dans l’artistique lorsque l’on est une femme...


Mélissa Phulpin (attachée de presse) : » ? Mais effectivement, en presse, plus une artiste est jolie, plus elle peut bénéficier d’articles (notamment de la part de la presse féminine). Celle-là, elle ne passe pas J’ai pris conscience de cette réalité à la suite de ton article. Je ne m’étais vraiment pas rendu compte de cette normalisation du sexisme ! Entre la blague et la réflexion méchante où mettre le curseur sur « 


Élodie Mermoz (programmatrice, manageuse) : Moi, je refuse de me poser la question pour, justement, ne pas laisser de la place au sexisme. Pour autant, il est vrai que l’on associe curieusement les femmes avec la chanson et souvent peu le rock ou l’électro ! Voire il faut se taper un parcours du combattant : les vendeurs de matériel qui vous sous-estiment (« Tu sais comment ça marche, ça ? ») ou les techniciens qui se permettent quelques réglages avant le set (alors que personne ne toucherait les platines d’un homme…).

Ondine : Sur la quarantaine de femmes que j’ai contactées pour témoigner, un quart affirment que rien de tel ne leur est jamais arrivé ou estiment qu’elles n’ont rien à dire d’intéressant sur la question. Peut-être parce que ce sexisme semble plus accepté qu’ailleurs, parfois même par les premières concernées ? Il existe pourtant encore des clichés sur l’androgynie supposée de la roadie, l’attachée de presse sexy, l’artiste sensible, la journaliste-groupie, la patronne-carriériste…

Le prince Miaou : C’est vrai que le métier de roadie ne nous a jamais fait rêver ! Pas parce que nous n’y avons pas accès, mais parce que l’on ne nous en a pas parlé…

Robi : Moi, j’ai trouvé la parade en m’entourant de types délicats et fins (il y en a !). Ça m’embête, par contre, de laisser les mecs démonter tout seul le matos, après le concert. Oui, c’est vrai ! Mais je ne suis malheureusement d’aucune utilité…

Marie Flore : C’est évidemment sous-jacent. On a appris à se blinder. Moi, je travaille désormais en studio avec une femme pour éviter les conflits...

Le prince Miiaou : Quand bien même ! On croit encore que comme c’est un homme qui est intervenu sur ton album, c’est du coup le sien… Ça m’ulcère ! C’est pourtant difficile à défendre parce que l’on ne veut pas que l’on nous reproche de tirer la couverture à soi…

Marie Flore : Est-ce que j’ai souffert d’être une femme artiste ? Je ne sais pas… C’est vrai que, maintenant que j’y pense : tu as raison. On s’est parfois moqué de moi en studio parce que j’utilisais des termes techniques. Mais je parlerai plutôt d’un « machisme latent »


Le prince Miiaou :» !laisser une guitare dans les mains d’une femme  C’est marrant, moi c’est un ingé son de France Inter que j’avais entendu dire qu’il ne fallait jamais « 

Cléa Vincent : Moi, je me trouve plutôt avantagée… Désolé, hein. Les filles ont beaucoup de succès aujourd’hui. Exemple ? Christine and The Queens ! Cela peut donc être – OK –  un handicap, mais aussi un avantage. Les filles sexy à guitares ont toujours attiré le regard… Fishbach me disait que, selon elle, les tourneurs sont plus rassurés car ils sont persuadés que l’on ne pas pisser partout…

Robi : Je ne suis pas d’accord ! Être une femme n’est pas un critère qui ne serait là que nous avantager. D’autant que le machisme est présent dans n’importe quel métier et parmi toutes les tranches d’âge... Il est juste simplifié dans le rock. Attention cependant à ne pas véhiculer, à l’inverse, des clichés anti-garçons, hein.

Le prince Miiaou : Quand on est une fille, on nous demande d’être belle. Pourtant, on est musicienne, pas mannequin. C’est pénible ! Est-ce qu’on le demande à Tom York ? Non, bien sûr !

Ondine : Oui. Et personne ne parle de la calvitie de Damon Albarn ! Je rejoins également Mélissa sur son constat. Ces réflexions sont parfois entre la blague et la flatterie. Il est difficile pour nous de réagir, car on nous soupçonnerait d’hystérie ou d’être une diva. Hors le métier impose que nous ayons une image « cool ».


Le prince Miiaou : Exactement ! Quand je m’énerve, on me prend pour une connasse. Et non quelqu’un qui sait mener sa barque ! Mais on ne peut pas nier que nous utilisons aussi et parfois la séduction, non ?


La Féline : J’ai lu dans un article qui disait « Jeanne Added a gagné en charisme ce qu’elle a perdu en féminité ». J’ai trouvé ça violent ! Puis quel rapport ? Et pourquoi ?

Élodie : Sur scène, Robi est très animal. Il y a un amalgame entre la non-féminité et le genre. Attention, cela peut aussi être une forme d’homophobie cachée…


Robi : On m’a d’ailleurs déjà accolé l’expression « sexualité agressive »… C’est déjà faire état d’une différence ! Agressive ? C’est bien la preuve que c’est un milieu où les femmes doivent être nécessairement sexy, sans avoir de sexualité, féminines mais jamais proactives…

Élodie : Oui, ou lors d’entretiens, on te demande si tu as des enfants… Pire : si on en a et que l’on continue à sortir, c’est la double peine ! On passe pour une mauvaise mère...

Le prince Miiaou : C’est surtout étrange de croire qu’un couple ou des enfants ne peuvent pas aller de paire avec l’exercice de création.

Élodie : Au Printemps de Bourges, je suis la seule programmatrice parmi 5 programmateurs. Des gros bookeurs envoient des e-mails intitulés « Salut les garçons ». Et il arrive souvent que l’on mésestime mon rôle, que l’on passe plus naturellement par les mecs que par moi. Ça relève, selon moi, plus de la bêtise que du réel sexisme à mon avis. Ça ne m’empêche pas de faire mon travail ! Je défends des projets par rapport à leur qualité et non par rapport à celle de l’entourage. Et je tiens à être appréciée pour mes qualités et non parce que je suis une femme.

Ondine : A mon bureau, au téléphone, on me prend parfois pour la secrétaire ou la comptable...

Robi : On a tellement intériorisées ces remarques, que c’est comme si on les validait. Pourtant, il faut en finir avec ce sentiment de l’imposteur. Nous sommes des artistes à part entière ! D’autant que « La Femme » n’existe pas. Ce sont « les femmes » avec chacune leurs nuances. C’est donc un pluriel qui s’ignore.

Ondine : J’adorerais que l’on arrête d’en parler ! Moi, je n’ai pas été brimée dans mon éducation. C'est peut-être pour cette raison que je ne m'autorise pas à relever ce type de remarques ?

Élodie : L’artiste américaine Amber Coffman a avouée, sur Twitter, qu’elle s’est faite agresser par le fondateur d’une grosse boîte de management américaine. A la suite de cette révélation, une cinquantaine de personnes ont témoigné... C’est hallucinant de voir qu’il a fallu cet acte pour en déclencher d’autres ! Tout le monde savait, mais personne n’osait à cause du poste du type… Puis, il y a également cette frontière floue, dans le milieu de la musique, entre copains et collègues. D’autant que les horaires sont souvent nocturnes, que les lieux où nous travaillons sont habituellement considérés comme des espaces de loisirs, voire de drague, avec une consommation régulière d’alcool.

Alain Paré (directeur de salle) : Pour revenir à la dimension charme, je préfère parler d’émotion suscitée par une femme, plutôt que de séduction. Pour autant, c’est effectivement un vrai sujet. Et je suis d’accord avec Elodie sur ce flou autour de la vie privée et celle professionnelle, quasi-invisible. Le lourdaud du bar n’est alors plus un simple anonyme, ce peut être un collègue, un confrère, un supérieur, un client auquel il peut être difficile de dire non.

Élodie : Attention, il m’arrive aussi de souffrir de sexisme de la part de nanas…

Ondine : Oui, il existe des comportements sexistes intériorisés par les femmes elles-mêmes, dû à une banalisation des comportements ou une hyper-sexualisation forcée. Jusqu’à « singer » des comportements sociologiquement attribués aux hommes de ce milieu. Voire une absence de réaction de l’entourage masculin, considérant certains gestes comme de la drague, une blague ou un dérapage inoffensif du à l’alcool ! Avec une grande majorité militant malgré tout pour la parité… Et puis, avouons que le cliché des groupies est encore vrai et ne nous sert pas…

Le prince Miaou : Moi, mes musiciens ne couchent pas… et sont très déçus !

La Féline : Ha ha ! Mes musiciens aussi ! On m’a dit que je faisais barrage aux autres filles…

Élodie : Pour conclure, cela semble évidemment être un conditionnement historique et social général. Avec ce mécanisme de défense qui voudrait que l’on doive nécessairement faire ses preuves face aux hommes... Peu semble ainsi considérer l’égalité comme postulat initial. Avant ce débat, je n’en avais, en tout cas, pas du tout conscience. Comme quoi, il y a sans doute une part d’auto-persuasion…

Mélanie Bauer (animatrice radio) : Ce qui m’énerve dans ce type de discours, c’est la victimisation, alors que vous êtes toutes des femmes de pouvoir, mais qu’aucune n’assume ! Tomboy lab, Printemps de Bourges, Les Inrocks… Ca va, hein ! D’autres ont moins de stature… Et puis, quoi ? Envoyez chier, c’est tout ! On est grande et on a besoin de personne.

Robi : Personnellement, je ne me considère pas comme une victime…

Elodie : Entièrement d’accord, Mélanie. Mais commençons d’abord par réduire les inégalités salariales et imposons la parité aux postes de directions de l’industrie musicale… On pourra ensuite réaliser un examen de conscience équitable.


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Représentation féminine
Dirigeantes des 100 + grosses entreprises culturelles : 8%
Directrices d’établissement public : 26%
Directrices de labels subventionnés : 25%
Responsables de théâtres subventionnés : 25%
Auteures de spectacles : 20%
Réalisatrices subventionnées : 20%
Chefs d’orchestre : 5%
Présentatrices télé : 63%
Animatrices radio : 8%
Journalistes télé/radio : 39%
Chiffres issus du rapport 2015 de l’Observatoire de l’égalité entre femmes et hommes

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