24 Janvier 2016
Si la Bretagne a ses mythes, Rennes cultive en tout cas les siens. À commencer par ce survivant de l’époque punk, dont on connaît peu d’ennemis. Il faut avouer que Dominic Sonic est une constance pour tout originaire de l’Ouest. Un homme aux cent projets et au succès d’estime inoxydé. En 2015, et après 8 ans d’absence discographique, il revenait avec un sixième album solo.
« Symbole » sonnerait sans doute plus juste pour ce témoin des heures de gloire eighties de la capitale bretonne. L’inaccessibilité et l’égo des mythes ? Peu pour lui… Car qui n’a jamais croisé ce longiligne et mécheux à la Bowie, les yeux noirs et le sourire timide entre deux lèvres dessinées au couteau ? Son corps, valant tous les livres d’Histoire, parle pour lui. Et son don d’ubiquité en dit long sur l’incroyable élan de sympathie et le respect collégial qui lui sont régulièrement exprimés. Pourtant, Dominic Sonic (né Garreau à la ville) reste un « symbole malgré lui », acteur – parmi d’autres – de l’explosion punk du début des années 80.
Un passé « qui le poursuit », réhabilité par une nostalgie locale vivace, mais à laquelle il prend « plaisir à répondre, tant que ce n’est pas du voyeurisme ». Comme un éternel coup d’œil dans le rétroviseur. Passionnant et passionné.
« Plus défoncés que les autres » // En effet, pas un article sur lui sans la mention des fameux Kalashnikov, quatuor des frères Perrault, qu’il rejoignit à la sortie du lycée. « Arrêter les études pour jouer » était alors l’obsession. À l’époque, Rennes vit une mini-révolution spontanée et électrique, faisant écho aux questionnements adolescents. Et prend de l’avance sur la scène nationale. « Soyons honnêtes : la légende vient surtout du fait que nous étions encore plus défoncés que les autres... Cela choquait même les Noir Désir quand ils nous croisaient avec nos cordes rouillées et notre matos pourave... » Signés chez Madrigal, les vauriens se font produire leurs maquettes par Daniel Chenevez (claviers de Niagara, autre figure locale), enchaînent les Trans Musicales (1983) et un quatre titres lives au festival Rock Against Tarzan (1985), avant de splitter en 1986.
« Les gens évoquent encore ça parce que c'est une période heureuse de la musique dans l'inconscient collectif. Et c'est vrai qu'il y avait beaucoup de choses ! Une demi-génération plus tard, la ville plongeait dans l'électro. Alors, les gens sont friands d'anecdotes... Même chose avec nos compatriotes Marquis de Sade ! C'est d’ailleurs un peu dégueulasse pour les autres groupes de la décennie... » La musique agissant comme fil rouge de nos vies ? Évidemment. Quoi d’autre ? L’émotion, liée aux décès de début 2016 (Pierre Boulez, David Bowie, Michel Delpech…), a rappelé ce besoin de partager les mêmes références. Les Little Rabbits (Nantes), les Thugs (Angers) ou Dominic Sonic (Rennes) font partis de ces repaires bretons, témoin d’un instantané éphémère, mais fondateur pour la scène en devenir.
« Je chantais comme une casserole » // Accéder au statut de héros rennais ? Un comble pour celui « né à Dinan et venant de Saint-Brieuc ». Mais même 30 ans plus tard et habitant désormais Paris, l’artiste reste attaché à la ville, conscient de la « mutation de la commune », mais y soulignant un « esprit particulier resté intact ». Il continue d’ailleurs d’y répéter…
À se demander, physique inclus, ce qui a changé chez lui depuis. « C’est vrai que ma tessiture de voix a peu bougé. Au pire : j’arrête de monter plus haut. A une époque, j’ai même pris des cours de chant, mais… ça me faisait chanter faux ! (J’y réfléchissais trop). La voix est mon principal instrument. Essayer de la modifier ne peut que poser des soucis. » Avouant que du temps des Kalashnikov, il chantait « comme une casserole ».
Mais c’est surtout du côté technique, que la pratique a évolué : « La barrière entre amateurs, professionnels et bidouilleurs s'est considérablement réduite grâce aux home studios et aux logiciels. Je préfère la méthode actuelle, parce que je peux enfin pousser les boutons moi-même. Pro Tools, c'est fou ! La technologie est hyper accessible... Et j’aime faire appel aux talents de chacun pour une unique partie. »
« Je n'ai pas un caractère obsessionnel. » // D’autant que l’homme n’est pas qu’un solitaire, se confrontant au collectif dès que l’occasion se présente : projets avec les compatriotes de Bikini Machine, invité surprise des Stooges lors des Trans Musicales de 2002, acteur de théâtre aux côtés de Jacky Berroyer en 2008, fondateur du groupe AK47 Blues Rendez-vous en 2010, arrangeur pour l’album d’Olivier Delacroix (ex-Black Maria) et The Octopus… « Il n’y a pas de choix à faire ! J’aime arranger, jouer, participer… Il faut juste qu'humainement ça le fasse. » De quoi influencer sa méthode de travail ? « Je n'ai pas un caractère obsessionnel. Je fais les sessions d'un bloc et j'ai, du coup, des milliers de versions – au moins 4 000 sur mon dictaphone. Le plus souvent, ce sont des trucs fredonnés pour ne pas réveiller ma nana ou en revenant de soirée… »
La démarche fut identique pour son dernier album Vanités#6, avec des premiers morceaux commencés en 2008. Huit ans d’attente ? Essentiellement en raison de la non disponibilité des musiciens (les Bikini Machine) ou des allers-retours avec les labels. Quitte à frôler le décalage : « J’avais enregistré une chanson sur mon père, qui est décédé avant que ne sorte l’album… » Pour le reste, Dominic Sonic a essayé l’ensemble du nouveau répertoire en français, pour ne conserver finalement que deux morceaux dans cette langue. Voire avait prévu de sortir un double album, avec versant rock et redescentes acoustiques. « Je ne m’interdis pas de sortir l’autre rapidement… Promis ! », rit-il.
« Pas de mise en danger » // Bien sûr, les pas de côté l’intéressent, comme par exemple l’électro. Mais peu de probabilité que cela aboutisse dans ses albums solo, « par peur que la musique soit datée ». Tout l’inverse de son rock apatride – « J’ai autant d’Américains que d’Anglais dans ma playlist » – qui peut « affronter la durée ». Seule potentielle entorse : des percussions marocaines. « J’ai un projet avec Rachid Taha qui pourrait peut-être aboutir. Les rythmiques sont intéressantes et il y a une vraie histoire à raconter… », raconte celui également tenté par un texte en breton. Un seul. Pour voir.
Touche-à-tout, Dominic se sent davantage Jack White (The White Stripes, The Raconteurs, The Dead Weather…) que Damon Albarn (Blur, Gorillaz, The Good The Bad And The Queen…) : « Dans tous ses projets, Jack White conserve une même logique, une même obstination à creuser son sillon en marge. On reconnaît sa patte. C’est ce qui m’intéresse aussi : que cela me ressemble. Peu importe la forme, il n’y a pas de mise en danger, ni de réinvention de mon univers. »
« Tourner jusqu’à la fin » // Aujourd’hui, la musique (des autres) semble pourtant avoir moins de saveur pour le guitariste : « Je trouve que cela manque de parti pris en terme de sons ou d'idées. Et les choses les plus intéressantes ne sont clairement plus dans le rock, le punk ou le garage. Les gosses se mettent dans une chapelle et en respectent trop les codes ! Je ne comprends pas que l'on ne fasse pas table rase de tout ça. » Confession surprenante pour celui dont les albums s’inscrivent dans une certaine tradition… « Oui, mais c’est justement à ça que servent les projets satellites ! », lâche-t-il malicieusement.
Comment se voit-il vieillir, justement ? Comme une Catherine Ringer (Rita Mitsouko) ou Vincent Palmer (Bijou), éternellement rattachés à leur groupe d’origine ? « Leonard Cohen ! Sans hésitation. Il a su rester intègre et élégant, tout en continuant de tourner jusqu’à la fin… J’aimerais aussi… sauf si je suis sur un brancard, bien sûr ! La seule chose dont je suis incapable, c’est un concert de 2h. Au bout d'1h15, je décroche... Que ce soit en tant que spectateur ou musicien ! »
Punk, jusqu’au bout ?
La routine a du bon...