15 Novembre 2015
« Pas évident de vivre avec tous ces flics prêts à te tirer dessus (…) C’est pour ça que je préfère ne rien faire, traîner dans la rue : 3 000 ariary, ce n’est même pas le prix d’une prostituée (…) Et encore, c’est toi qui dois rendre la monnaie... », gueulaient-ils, dès 2013, dans leur titre Vangy.
Alors quoi ? Rengaine gangsta pour minettes en quête de gros bras ? Balancée par des Californiens décapotés, avec arme factice dans le falzar ? Non. Seulement la réalité d’un quatuor rock squattant l’un des pays les plus pauvres et corrompus du monde : Madagascar… De quoi vous remettre les idées en place, sur la forme comme sur le fond. De l’or en barre ! Pas étonnant que les Trans Musicales de Rennes les aient braconnés : leur musique est un bastion, prêt à damer le pion des reclus. Donner le ton, rien de plus, certificat d’authenticité inclus.
Le rock n’a plus rien à inventer ? Ha ha. Mélangez injustices, absence de perspectives et restriction des libertés… Vous recevrez en boomerang l’électricité que nos sociétés ont parfois aseptisée. Car ces quatre-là n’ont rien à perdre, jouent leur va-tout et veulent balancer du son quand ça les chante. Comme ILS le chantent. Avec, surtout, ce sentiment d’urgence et cette envie d’errance... De là vient leur passion pour le rock’n’roll débridé (préférant Little Richard à Presley), le garage et autres ambiances psychées. Pas que de la musique, non : de véritables morceaux de bravoures, avec un vécu et du poil autour.
The Dizzy Brains ? Une dynastie familiale à la Asheton (The Stooges), plutôt que Gallagher (Oasis). Deux frangins auteurs-compositeurs : le bassiste Mahefa et le chanteur Eddy. Deux gosses d'une vingtaine d'années, élevés aux vinyles d’un père mélomane (The Kinks, The Kingsmen, The Vines, Singapore Sling…) et au passif scénique bien entamé. Sauf que, malgré le « The » en étendard, le rock malgache a moins de potes que son compatriote métal ou folklorique. Pire : le style joue les bannis. D'où sa dimension affranchie loin, très loin, de nos débats aussi nostalgiques qu'encyclopédiques... La survie ? Ici aussi.
C’est en 2011, que l’idée jaillit. Eddy, aux toilettes (ça ne s’invente pas), trouve la martingale en écoutant 7h du matin de Jacqueline Taïeb. Vlan ! Aussi simple que ça. Comme la forme qu’ils adopteront, mélangeant narration du quotidien et orchestration mini. Leur nom ? Littéralement « Les Étourdis », inspiré par l’ironie d’un Jacques Dutronc et le je-m’en-foutisme d'un Gainsbourg qu’ils glorifient. De Dutronc, ils adoptent d’ailleurs Les Cactus, dans une version où les épines se ramassent à la pelle... Mais leur sujet de vénération reste The Sonics, dont l’adaptation de Louie Louie et Have Love Will Travel en malgache trône dans leur premier essai « Môla Kely » (2013, No Comment). Des chansons évoquant les filles faciles parmi un album signifiant « Petite Salope »... Hé oui.
De la provoc, hein. Car leurs préoccupations restent à l’image de leur génération : l’argent, l’avenir, les amies… et un système politique devenu ennemi. Pourtant, être punk ne les a jamais tenté ! C’est le sentiment constant de rejet qui les a fait basculer, façonnant certitudes et attitudes, agneaux le jour et loups à la nuit tombée. Entre album au rock distancié et punk de contrebande sur scène, The Dizzy Brains persiste et signe la revanche des bas-fonds. Porte-voix d'un Sud qui a appris sa leçon.
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