Samuel Degasne

Journaliste dépendant & théoriste musical.

ABD AL MALIK : rencontre du 3e type

ABD AL MALIK : rencontre du 3e type

Écrivain et réalisateur à ses heures, le slameur revient avec un cinquième album solo. Mais si les rythmiques sont toujours le fait de son frère aîné Bilal, les mélodies ont, elles, été confiées au pape de la house française : Laurent Garnier.


Tête qui dodeline, regard habité, timbre doux et phrasé syncopé… Interroger Abd Al Malik, c’est chaque fois avoir l’impression de le voir ou l’entendre slamer. Avec, toujours, cette habitude de contextualiser son propos et de ponctuer ses souffles de punchlines, s’excusant continuellement de tout ce qui pourrait paraître immodeste.
Cet été, c’est son visage impassible qui s’est affiché en marge des Francofolies de La Rochelle aux côtés de Laurent Garnier. Noir & blanc de rigueur Vs hip-hop & house, le teaser en papier glacé a éveillé les curiosités... Pourtant, l’association date d’une dizaine d’années : une rencontre fortuite lors d’un concert, un duo improvisé sur un festival jazz et la promesse de se recroiser. Pour voir.

« Jusqu’au jour où je cherchais une couleur précise pour mon film (l’autobiographie Qu'Allah bénisse la France, ndla) », précise Abd Al Malik. « Strasbourg, ville de mon adolescence et du fait de sa proximité avec l’Allemagne, a toujours été bercée par l’électro... Qui mieux alors que Laurent Garnier pour l’illustrer ? » Le résultat, singulier, l’incite à poursuivre au-delà de la B.O.
Mélanger électro et slam ? L’exercice en rappelle d’autres : notamment les bandes originales des films Judgment Night (1993, réunissant la crème rap et rock) ou Spawn (97, avec artistes metal et djs électro). « Nous partageons avec Laurent un rapport encyclopédique à la musique. Run DMC, Afrika Bambaataa, Kraftwerk… Ce sont bien sûr des éléments fondateurs de mon apprentissage. Mais il n’y a pas eu, ici, la volonté de copier tel ou tel concept : ce fut naturel. N’oublions pas que le hip-hop a une culture du sample… »

Le résultat se décline dans un album au nom, « Scarification », des plus étranges. « J’y évoque mes cicatrices (infligées ou non). C’est également l’idée de procéder à un rituel, mais avec passivité. De raconter une histoire en distinguant les marques et les blessures. De rebondir sur les leçons retenues, plutôt que sur des plaies encore béantes. »

Deux hommages, à fleur de peau, sont d’ailleurs rendus sur cet album. A commencer par Juliette Gréco : « C’est ma marraine. Avec son mari, Gérard Jouannest (compositeur de Jacques Brel, ndla), ils m’ont ouvert les bras à l’époque de mon deuxième album Gibraltar. Il y a une vraie admiration de ma part pour ces deux légendes, sans cesse modestes et fuyant la nostalgie. »
Puis, Daniel Darc. « C’était un frère. Il me faisait penser à un grand du quartier. L’héroïne, tout ça : j’ai connu. J’avais été bouleversé en voyant Crèvecœur sur scène. Puis, j’ai eu la chance de participer avec lui aux concerts des Aventuriers d’un autre monde (2006-2007, à l’initiative de Richard Kolinka, avec Aubert, Bashung ou encore Cali, ndla). C’était quelqu’un de très cultivé, très spirituel. On s’est échangé une bague berbère et un collier avec une croix. On avait même un projet en tête ! Mais voilà... Quand il est mort, j’étais en tournée. J’avais écrit un texte, mis de côté jusqu’à aujourd’hui… »

Ce qu’Abd Al Malik a en commun avec ces personnalités ? « Être entier, évidemment. Ne jamais mentir, ni se renier. Il n’y a aucun différence entre notre représentation médiatique et ce que nous sommes. A l’heure d’Internet, il est important de rester réel. » Précisant qu’il a aussi beaucoup pensé à Dj Medhi (Ed Banger records), décédé en 2011.
Est-ce dire qu’il ne regrette pas ses propos sur Charlie Hebdo ? (estimant dans un texte d’une vingtaine de pages, publié en février, que le journal, malgré son « acte démocratique par excellence parce qu’éclatant symbole de la liberté d’expression », a « clairement contribué à la progression de l'islamophobie, du racisme et de la défiance envers tous les musulmans », ndla) On imagine aisément le slameur assumer ses propos, mais cette prise de position n’a-t-elle pas parasité son discours général ? « En aucune manière », nous répond-il du tac-au-tac. « Je suis un être humain, avec ses défauts et ses qualités. Si je me parasitais moi-même, ce ne serait pas cohérent. Je suis un ensemble, toute proportion gardée. Je n’oblige personne à penser comme moi. Je ne suis ni dans la stratégie, ni dans le désir de blesser les gens. Et c’est aussi ça, être entier. »


> Chronique album

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