Samuel Degasne

Journaliste dépendant & théoriste musical.

Madagascar : passeport pour l’oubli ?

Pays francophone, l’île peine à exporter sa nouvelle génération d’artistes pourtant prometteuses. La faute à une réalité complexe autant qu’une méconnaissance des programmateurs, plus habitués à faire leur marché dans l’Afrique de l’Ouest. Une erreur ?
 


 

Corruption politique, difficultés démocratiques, attitude autarcique, infrastructures étatiques défaillantes, violences, analphabétisme, faible espérance de vie, tabous… Les crises successives que traverse le pays depuis plusieurs décennies ont accéléré le désintérêt de la communauté internationale pour l’ancienne colonie française. Pire : en moins de 40 ans, cet ancien premier exportateur de riz des pays africains francophones est devenu l’un des peuples les plus pauvres. Et ce, malgré la présence de pétrole, d’uranium et autres pierres précieuses... Avec sa superficie faisant 1,5 fois la France, Madagascar se meurt donc dans l’indifférence, pillée par les entreprises étrangères et visitée par les amateurs de tourisme sexuel.
A ceci s’ajoutent plusieurs contraintes : une île réunionnaise captant attention médiatique, échanges culturels et aides financières ; de nombreux styles musicaux (pour la plupart endémiques, comme le tsapiky, le salegy, le baohejy, le jihe ou le kawitry) ; l’absence d’industrie musicale (activité centrée sur les concerts, droits d’auteur inexistants, manque de professionnalisation des acteurs) et de relais médiatiques ou institutionnels ; groupes pouvant parfois atteindre jusqu’à 15 personnes sur scène ; coût du transport aérien ; dessin animé de Dreamworks offrant une image trompeuse…

Or, la qualité du vivier artistique – à l’image d’un Cuba – a de quoi challenger une partie des productions internationales. Rappelez-vous la précédente génération d’ambassadeurs de l’île : Les Surfs (variétés, longtemps en tête du hit parade français), Rakoto Frah et
Jaojoby Eusèbe (traditionnel), Mahaleo (country-folk) ou encore les jazzmen Serge Rahoerson, Sylvain Marc, Tony Rabeson, Nicolas Vatomanga... Tous ont su faire le pont entre traditions et formes contemporaines.
Plus métissée et caméléon, la nouvelle génération va plus loin en jouant les funambules entre racines indonésiennes, rythmiques africaines et influences américano-européennes. A force d’entraînement et d’assimilation, le résultat est une synthèse parfaite. Le tout, conservant un processus créatif resté frais et spontané.
Tenez-le vous pour dit : les jeunes malgaches viennent prendre leur revanche sur une scène internationale qui les a (trop) longtemps ignorés.

 

COUPS DE CŒUR

The Dizzy Brains // garage rock
Exercice bluffant entre garage rock, rhythm’n’blues d’un grand niveau et paroles contestatrices sur la réalité malgache (à la limite du gangsta rap). Le quatuor arrive à faire aussi bien que les Stooges et MC5... On comprend mieux pourquoi ces jeunes sont programmés aux Trans Musicales de Rennes : les deux frangins, à la tête du groupe, iront loin.


Christelle Ratri // rock-soul
Professionnelle depuis seulement 2013, la bassiste soul-rock est sans conteste l’un des projets les plus exportables internationalement, non loin d’un Alabama Shakes ou d’un Skunk Anaisie. Petit gabarit et voix puissante, l’artiste propose des morceaux étirés tout en intensité. On attend beaucoup de sa co-production avec le label parisien X-Ray Productions.


Silo // grunge
Pilier de la scène musicale malgache et talentueux pianiste jazzman, l’artiste a multiplié les collaborations locales et internationales (dont une avec Stephan Eicher). Troquant ses claviers pour une guitare électrique, il a dernièrement fait sensation au Iomma 2015, salon professionnel des musiques de l’Océan indien, avec son power rock 90’s.

 

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